L’élixir du diable
vos vies antérieures.
65
Les derniers mots de Navarro restèrent suspendus dans l’air comme les balles de revolver dans les films de la série Matrix .
Stephenson et moi en restions cois.
Ce qui sembla réjouir Navarro au plus haut point.
— Vous voyez ? Votre réaction, amigos , montre bien pourquoi elle va avoir un succès à tout casser, pourquoi tout le monde va vouloir l’essayer, même des gens qui ne se droguent pas d’habitude. Parce que c’est exactement ce qu’elle fait. Le voyage mental ultime. Elle vous embarque des années, des décennies, voire des siècles dans le passé… Elle vous fait vivre des moments d’existences que vous ignoriez avoir vécues. C’est comme un voyage dans le temps à l’intérieur de votre crâne, vers des endroits réels, des souvenirs, des sentiments et des gens réels… C’est comme un rêve, mais bien plus clair, plus vivant, et… et ce n’est pas imaginaire. Ce que vous ressentez est vraiment arrivé…
— Comment le savez-vous ? demandai-je. Comment savez-vous que ce n’est pas un effet de l’imagination ?
— Oh, je connais la cryptomnésie, rétorqua-t-il en se tournant vers Stephenson en quête d’une confirmation. Je connais tous les arguments contre la « régression vers la vie antérieure »… que tout ce qu’on se rappelle sous hypnose n’est rien d’autre que des choses au hasard, qu’on a lues ou vues à la télévision, qu’on a entendues puis oubliées, des souvenirs perdus depuis longtemps que la thérapie par régression va chercher dans les replis de notre esprit pour les ramener à la surface. Mais ce ne sont pas des fantasmes. Croyez-moi. J’en ai pris. Je l’ai essayée, et plus d’une fois. Et je connais la différence entre un fantasme et la réalité. Ce que cette drogue met au jour, ce que vous ressentez… l’émotion, la richesse de l’expérience, la précision des détails, jusqu’aux odeurs… Cela dépasse l’imagination. Comme si vous y étiez. Et c’est palpable. C’est assez précis pour vous donner envie de faire des recherches. Des souvenirs, des noms et des endroits précis. C’est ce que j’ai fait. J’ai creusé.
— Vous avez fait des recherches sur les vies antérieures que vous avez revécues sous l’emprise de la drogue ? demanda Stephenson.
La fierté éclaira le visage de Navarro.
— Bien sûr.
Il toisa Stephenson, comme pour le défier de poser la question suivante. Ce que fit le psy, sans attendre :
— Et alors ?
— J’ai découvert qui j’ai été. Où et quand j’ai vécu. J’ai fait des découvertes… étonnantes. La révolution… la lutte contre les rurales . Et avant cela, ici même, dans cet endroit…
Il écarta les bras, nous montra les murs qui nous entouraient.
— Cette hacienda. Pourquoi croyez-vous que je l’ai achetée ? Pourquoi croyez-vous que j’ai choisi cet endroit ? J’étais ici, fit-il en souriant. Dans ce lieu précis, il y a cent ans. Je travaillais comme esclave dans les champs alentour, récoltant le cactus henequen pour le compte de Don Francisco Mendoza, le hacendado . Je peux vous expliquer comment fonctionnait la déchiqueteuse que vous avez vue en arrivant, tout à l’heure. Je peux même vous dire quel bruit elle faisait. Et je peux vous assurer que je ne savais rien de cet endroit, ni de Mendoza ni du henequen avant d’essayer la potion magique de McKinnon. Absolument rien. Est-ce que vous pouvez m’expliquer comment cela aurait été possible, sans cette drogue ?
A l’écouter, j’étais étourdi. Si tout cela était vrai, ça changerait toutes les règles du jeu, à tous points de vue. Mais nous n’en étions pas là. Cet homme était un psychopathe, et il ne lui coûterait pas de mentir. Pour un vrai sceptique comme moi, il faudrait plus que le discours d’un narco cinglé pour me convaincre que toute cette histoire était vraie.
Mais si c’était vrai… les conséquences étaient inimaginables.
Je jetai un coup d’œil vers Stephenson. Il était très concentré, visiblement impressionné par ce qu’il entendait. J’étais mal à l’aise. Navarro agitait devant lui le gros lot qu’il avait attendu toute sa vie. La preuve de la réincarnation. La justification de l’œuvre d’une vie.
Je me demandai si mon compagnon de cellule n’était pas sur le point de rejoindre le côté sombre.
— Vrai ou faux, dis-je, il ne va pas être facile de le prouver.
Navarro haussa les épaules.
— Quand des milliers de
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