L’élixir du diable
personnes commenceront à en prendre, ils se poseront des questions sur ce qu’ils ont vu, ils feront des recherches et je parie qu’ils trouveront assez de preuves pour comprendre que ce qu’ils ont vu a vraiment eu lieu. Le spectacle sera sûrement très drôle. Et même s’il est impossible de le prouver, même si certains continueront d’affirmer obstinément que ça n’existe que dans notre imagination… peu importe. Ce ne sera rien que plus qu’un foutu trip. Sans doute meilleur que ce qu’offre n’importe quel autre cachet.
Je comprenais la logique de son discours. Qu’elle permette ou non aux consommateurs de plonger dans leurs vies antérieures – en supposant que ce soit possible –, il serait de toute façon difficile d’y résister.
Stephenson me surprit. Il n’était pas aussi emballé que je l’avais cru.
— Fondamentalement, c’est donc une sorte d’alcaloïde psychoactif ?
Navarro acquiesça.
— Oui. Mais la composition exacte est encore un mystère.
Stephenson grimaça.
— Quoi ? fit Navarro.
— Si la drogue produit cet effet-là, répondit Stephenson, vous ne pouvez pas la lâcher comme cela dans la nature. Elle doit faire l’objet d’essais dans les règles. Une drogue capable d’ouvrir des portes dans l’esprit… peut être très dangereuse. Si elle donne vraiment accès à des expériences de vies passées, elle peut ramener à la surface des souvenirs effacés dont il vaudrait sûrement mieux qu’ils le restent. Les souvenirs de vies antérieures réapparaissent en général à cause d’un traumatisme, et ramener ces… ces épiphanies psychiques risquerait de vous déséquilibrer et d’expédier brutalement votre esprit vers, je ne sais pas, une sorte de chaos primitif. Vous pourriez devenir quelqu’un que vous n’avez pas du tout envie d’être, et avoir une vie infernale…
Cette perspective n’inquiétait apparemment pas Navarro.
— Il y a des bons trips et des mauvais trips. Des tas de gens préfèrent ça à pas de trip du tout.
Stephenson était stupéfait.
— Oui… mais c’est un trip qui peut en faire des épaves mentales !
Navarro haussa les épaules.
— La vie, c’est une suite de choix, non ?
— Alors tout cela… rétorqua Stephenson. Alex… me kidnapper pour m’amener ici… Vous pensez vraiment qu’il peut vous aider à retrouver la formule de cette drogue ?
— Pourquoi pas ? Il se rappelle tout le reste.
Navarro agita le journal.
— Les écrits d’Eusebio sont très éclairants pour ce qui concerne son expérience. La seule chose qu’il n’a pas écrite, c’est la manière de fabriquer cette drogue.
— Mais McKinnon l’a trouvée, ajoutai-je. Il a retrouvé la tribu dont parle Eusebio dans son journal.
— Oui. C’était son obsession. Pendant des années, il a suivi la piste d’Eusebio. Et il y est arrivé.
Navarro me jeta un regard glacial.
— Et vous êtes venus jusqu’ici, vous l’avez tué et vous m’avez enlevé la drogue.
Il en fallait plus pour m’émouvoir.
— Et vous, vous vous êtes mis à la poursuite d’Alex.
— Je ne voulais pas perdre des années, et la tribu de McKinnon ne voulait pas qu’on la trouve. Je savais que la mission d’Eusebio se trouvait sur le territoire des Wixaritari. Ça figure dans son journal, et c’est de là que McKinnon a commencé à suivre sa piste. La tribu venait des montagnes autour de San Luis Potosi, et ils s’étaient enfuis vers l’ouest pour échapper aux conquistadors. C’est là, à Durango, qu’Eusebio a fondé sa mission. Puis les jésuites ont été expulsés par le roi d’Espagne et les Indiens se sont retrouvés à la merci des mineurs qui voulaient les utiliser comme esclaves. Ils se sont éparpillés à nouveau et ont fini par s’égailler un peu partout. On en trouve encore quelques-uns çà et là. De nos jours, on les appelle les Huichol…
« J’ai engagé des anthropologistes pour essayer de retrouver la piste de McKinnon, poursuivit-il. Nous sommes allés vers le sud, où nous avons parlé à des tribus Huichol et Lacandon, dans la forêt proche du Chiapas. Là où McKinnon prétendait avoir découvert la formule. Nous avons retrouvé des Indiens qui se rappelaient l’avoir rencontré, qui se souvenaient de lui, de son vieux journal et des questions qu’il posait. Puis la piste s’est refroidie. Nous n’avons pas retrouvé la tribu qui nous intéressait, encore moins le chaman qui lui avait montré comment fabriquer la
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