L’élixir du diable
immédiatement.
Au bout d’un moment, elle se tourna vers moi et me glissa, assez bas pour qu’Alex ne puisse pas l’entendre :
— Il a vraiment peur de toi.
— Je te l’avais dit, répondis-je tristement. Je ne sais pas comment faire.
Elle me pressa le bras.
— Il a juste besoin de temps. Tu étais là quand sa mère est morte, il t’associe à ce qui lui est arrivé.
— Ouais, mais il y a autre chose… Ça a commencé avant.
Son visage se plissa de perplexité et elle se tourna de nouveau vers Alex.
— Pourquoi ne pas le sortir de cette chambre ? L’emmener dans un endroit agréable, lui redonner une raison de sourire ?
Sans attendre de réponse, elle s’approcha de l’enfant, s’agenouilla pour mettre ses yeux au niveau des siens.
— Alex, ça te dirait d’aller manger une pizza ou autre chose ? Qu’est-ce qui te plaît le plus ? Ce que tu voudras, choisis.
Il ne fallut pas longtemps pour qu’il succombe au charme de Tess, qui lui arracha son premier quasi-sourire en déclarant que le Cheesecake Factory était aussi son restaurant préféré. Je les écoutai débattre des mérites comparés de la tarte au citron vert et des Oreo, mais le feu de petit bois qui commençait à flamber en moi s’éteignit lorsque Alex prononça la terrible question qu’il avait déjà posée tant de fois :
— Et ma maman ? Elle vient avec nous ?
Tess me coula un regard, prit la main de l’enfant et répondit :
— Non, mon petit cœur, ta maman ne viendra pas avec nous, j’en ai peur.
— Pourquoi ? Où elle est ?
Elle hésita, prit une profonde inspiration et dit avec douceur :
— Elle est au ciel, trésor.
Je sentis mon cœur sombrer dans ma poitrine.
Nous finîmes par emmener Alex au SeaWorld après cette conversation poignante et Tess se montra remarquable à chaque instant. Elle parvint même à lui faire manger quelque chose, ce que je n’avais pas réussi à faire. Manifestement, Alex se méfiait encore de moi, il évitait de croiser mon regard et utilisait Tess comme bouclier entre lui et moi. Je me dis que le mieux que je pouvais faire, c’était de lui donner plus d’espace et de laisser la magie de Tess opérer. Nous avions toute une vie devant nous pour régler ces problèmes.
A notre retour à l’hôtel, vers dix-huit heures, Tess alla dans la chambre communicante essayer de mettre Alex au lit. Je descendis au bar et me commandai une bière. Je ne tenais pas en place. Une journée entière s’était écoulée et je n’avais rien fait pour percer le mystère de la mort de Michelle, excepté faire défiler devant moi quelques centaines de regards froids, troublés ou simplement vides. Je n’étais pas habitué à une telle inaction, cela me rongeait. Je me sentais impuissant : on était maintenant dimanche soir et j’attendais que Villaverde revienne avec des infos émanant des techniciens du labo ou des inspecteurs de la Criminelle qui enquêtaient sur les fusillades. J’avais également conscience qu’il fallait s’occuper d’Alex, même si la présence de Tess l’avait certainement aidé à aller mieux.
J’avais quand même besoin de faire quelque chose mais je ne voyais pas quoi, et j’hésitais à commander une autre bière quand Tess apparut et se glissa sur le tabouret voisin du mien.
— Vous venez souvent ici ? me demanda-t-elle avec un sourire las.
Je parvins à lui rendre brièvement son sourire.
— Ma copine occupe notre chambre. Il faudra aller dans la vôtre.
— Tu sais quoi ? dit-elle en haussant un sourcil. Les mots te sont venus trop naturellement.
Son regard s’attarda sur moi pour quelques secondes d’examen moqueur puis elle se tourna vers le barman et, de l’index et du majeur, lui fit signe de nous amener deux autres bouteilles.
— Il dort ?
— Oui. Julia est avec lui. Formidable, cette fille, à propos. Tu as de la chance de l’avoir trouvée.
Je haussai les épaules en fixant le vide.
— Ouais, un week-end plein de coups de chance.
Tess se rapprocha de moi et passa une main dans mes cheveux à l’arrière de ma tête.
— Ça va, mon chéri ?
Je ne savais pas trop ce que je ressentais. Demeurant un moment silencieux, je fixai la collection de bouteilles alignées derrière le bar.
— C’est curieux, dis-je finalement, je n’avais pas pensé à elle depuis des années. Littéralement. Et puis elle appelle et…
Je me tournai vers Tess.
— Elle n’est plus là et j’ai un fils. D’un seul coup, comme
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