L’élixir du diable
nuit-là. Qu’est-ce qui s’est passé, après mon départ ? J’ai simplement entendu dire qu’on n’a jamais réussi à mettre la main dessus.
Munro confirma d’un hochement de tête.
— Son ordinateur…
— Je sais, ça aussi, je l’ai entendu. Deux essais et il a grillé.
Cette nuit-là, nous avions réussi à rapporter deux choses que McKinnon avait emballées : un ordinateur portable et un journal intime à la reliure en cuir déchirée. Ce journal s’était révélé sans intérêt : selon Corliss et un analyste de l’agence, il contenait les divagations d’un missionnaire jésuite nommé Eusebio qui avait vécu Dieu sait quand, écrites à la plume en espagnol et à moitié effacées. L’ordinateur, sur lequel McKinnon conservait probablement ses recherches, était protégé non seulement par un mot de passe et une empreinte digitale mais aussi par un logiciel Blowfish de deux cent cinquante-six bits extrêmement efficace qui fit griller le disque dur au second mot de passe incorrect. Au second . Pas dix ni cinq. Les meilleurs techniciens de l’agence ne parvinrent pas à récupérer quoi que ce soit sur le disque après qu’il eut été bousillé. Ce niveau de sécurité n’était pas surprenant puisque les chimistes des narcos travaillaient sur de nouvelles drogues pouvant rapporter des milliards, mais ça ne faisait vraiment pas nos affaires.
— Vous avez pourtant mis le paquet contre Navarro après qu’il s’en est pris à Corliss, arguai-je. Vous n’avez rien trouvé à ce moment-là ?
— Navarro l’avait pas non plus, rétorqua Munro. Pourquoi tu crois qu’il a fait ça à Corliss ? La formule de la drogue est morte avec McKinnon, c’est pour ça que Navarro a pété un câble. Il est devenu fou furieux, il a reporté sa rage sur Corliss. Du coup, la DEA lui est dégringolée dessus comme une tonne de briques et il est devenu en même temps la cible numéro un des tueurs des cartels…
Les pièces du puzzle s’assemblaient mais je sentais en même temps quelque chose agiter ses griffes au fond d’une crevasse de mon esprit et tenter désespérément d’attirer mon attention.
— D’accord, la formule est perdue… mais ils pensent que nous l’avons, dis-je. Quelqu’un le pense. C’est pour ça que Navarro a cherché à tuer Corliss à l’époque. C’est pour ça que le type qui est derrière cette histoire a embauché les motards pour qu’ils kidnappent des chercheurs. Et c’est pour ça qu’ils ont voulu enlever Michelle.
— Michelle ne faisait pas partie de notre commando, me rappela Munro. Elle n’avait rien à voir avec le raid contre le labo de Navarro…
— Elle, non. Moi, si.
Cette soudaine prise de conscience me tomba au creux de l’estomac comme une bombe à fragmentation et me déchira les entrailles. Dans mon cerveau, les rouages s’enclenchèrent et se mirent à tourner dans une clarté aveuglante.
— Ils ne voulaient rien d’elle, poursuivis-je. C’est moi qu’ils voulaient. Je suis celui qui a supprimé McKinnon, ils doivent penser que je sais quelque chose.
Je revis Michelle recevoir la balle, se tourner vers moi pour me regarder tandis que la mort se rapprochait d’elle ; je la revis allongée sur le trottoir, la vie s’écoulant par sa blessure, ses lèvres prononçant quelques ultimes mots dans un râle d’agonie… et j’eus envie de me faire sauter la tête.
C’était moi qu’ils voulaient. Depuis le début.
Ils voulaient enlever Michelle pour avoir accès à moi.
J’étais responsable de sa mort.
Mon sang se changea en un torrent d’acide qui déferla dans mon corps, brûlant tout sur son passage. Ils s’en étaient pris à Michelle parce qu’ils ne connaissaient pas l’existence de Tess, probablement. Ou parce que New York était hors de portée pour eux et qu’ils avaient besoin de m’attirer ici, sur leur terrain, à un saut de la frontière.
Et comme si cela ne suffisait pas, je me rendis compte d’autre chose.
Alex.
— Ce n’était pas seulement Michelle qu’ils voulaient, fis-je d’une voix sifflante, le souffle court. Ils voulaient aussi Alex. Ils doivent savoir qu’il est mon fils. Ils sont venus l’enlever. Pour avoir un moyen de pression sur moi.
Ça devait être la raison pour laquelle ils continuaient à me suivre. Non parce qu’ils ignoraient que Michelle était morte. Parce qu’ils me voulaient moi . Ils voulaient quelque chose de moi et ils avaient l’intention de se servir
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