L’élixir du diable
côté, je n’aimais pas non plus les souffrances causées par l’alcool et l’oxycodone. Il fallait que quelqu’un se lève et reconnaisse que cette prohibition-là ne servait à rien. Il fallait briser ce tabou, mettre cartes sur table et entamer une discussion lucide, sans préjugés, sur des approches alternatives. Mais je ne comptais pas trop là-dessus. L’histoire ne regarde pas d’un œil favorable ceux qui reconnaissent qu’ils sont en train de perdre une guerre, même si elle est déjà perdue depuis longtemps.
D’un ton méprisant, Pennebaker poursuivait :
— On a eu ici une femme qui avait fait six ans de prison pour avoir vendu trente dollars d’herbe. On lui avait pris ses enfants, elle s’était mise au crack dès sa sortie. Sa façon de laisser tomber. 1-0 pour le système, hein ? Même la Commission des Nations unies sur la drogue reconnaît maintenant que l’interdiction est un échec et réclame la légalisation. Ces mêmes Nations unies qui nous ont envoyés dans le Golfe. Vous croyez que quelqu’un à Washington a les couilles d’écouter ? La seule façon de traiter le problème est d’affronter les raisons de notre conduite et d’éduquer les gens, de leur faire connaître toutes les possibilités. Ils feront peut-être alors de meilleurs choix. Je suis maintenant content des choix que j’ai faits. C’est la première fois que je peux dire ça.
Je jugeai le moment propice pour inciter Pennebaker à répondre à la question que nous étions venus lui poser :
— Aidez-nous et nous vous ficherons la paix. Nous savons que vous et d’autres gars du club avez assuré la sécurité du réseau d’un narco mexicain, à l’époque. Qui c’était ?
Son expression s’assombrit.
— Pourquoi ?
— C’est peut-être le même type qui a embauché les Aigles… et les a ensuite liquidés.
Pennebaker grimaça, comme si ce souvenir était curieusement plus pénible que tous les autres réunis.
— Ce mec était un vrai dingue, ça se voyait dans son regard. Je connais ce genre de regard. Il engageait toujours d’anciens soldats. Américains et mexicains. Il pensait que ça lui donnait un avantage. D’ailleurs c’était vrai, je crois. On faisait ce qu’il demandait et il payait bien. Nos gouvernants sont peut-être naïfs, pas très perspicaces, incompétents, mal conseillés et parfois tout simplement stupides, mais ce mec, là, c’est le mal à l’état pur.
— Il s’appelle comment ?
— Navarro. Raoul Navarro.
41
Ils étaient de nouveau à Balboa Park : Tess, Alex et Julia, traversant nonchalamment la place, entourés d’une foule de gens, profitant d’une autre superbe journée californienne et contemplant la profusion d’attractions que le parc avait à leur offrir.
Tess n’avait trouvé aucun psychologue de la région prénommé Jim. Ou James. Renonçant à chercher plus avant, elle avait décidé qu’Alex avait besoin d’une autre sortie, cette fois au musée de l’Air et de l’Espace.
Ils avaient laissé le Ford Explorer de Julia au parking, derrière le Starlight Theatre, et tandis qu’ils longeaient un massif de fleurs colorées qui bordait l’allée, Tess repensait à sa conversation avec l’institutrice d’Alex et à la fleur qui tue. Sa première réaction avait été de conclure que cette histoire provenait d’un dessin animé qu’Alex regardait à la télévision, peut-être un odieux extraterrestre avec le rire du Dr Denfer tentant de s’attaquer à un monde sans méfiance pour être finalement terrassé au dernier moment par Ben et sa merveilleuse Omnitrix. Mais Tess y songeait de nouveau, maintenant, et se demandait pourquoi cette fleur qu’elle avait chassée de ses préoccupations revenait la titiller au lieu de rester au tapis pour le compte.
— Alex, tu te souviens de la fleur que tu as dessinée pour ton institutrice ? La fleur blanche ?
Il hocha distraitement la tête.
— Tu l’avais vue où ? Dans le parc ?
— Non.
— Où, alors ?
Il lui coula un curieux regard et répondit : — Je… je sais pas.
— Mais tu as dit quelque chose sur cette fleur. Tu te rappelles ?
Il acquiesça.
Tess s’arrêta, s’accroupit pour mettre son visage au niveau de celui de l’enfant et passa un bras autour de ses épaules avec douceur.
— Explique-moi ce qu’elle a de spécial, cette fleur.
Il la regarda comme s’il la découvrait et répondit : — Elle peut guérir les gens mais elle les tue aussi. Alors, c’est pas
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