L’élixir du diable
m’avait pas foutu en taule, je serais sûrement mort, maintenant.
— Mais vous vous êtes trouvé un objectif.
— J’ai connu la merde. Et je sais qu’on peut s’en sortir. Mais faut être fort. Et faut avoir des gens à aimer. Des tas de gars, à peine rentrés d’Irak ou d’Afghanistan, ils se collent une pipe de meth dans la bouche. Pas de meilleur ami, pas de pire ennemi.
L’ironie de la formule le fit ricaner.
Je savais d’où venait ce rire hanté. « Pas de meilleur ami, pas de pire ennemi », telle était la devise de la division de Marines dans laquelle Pennebaker et Walker avaient servi en Irak.
— N’importe quoi pour calmer la souffrance, reprit-il avec un lent hochement de tête. Mais ça ne fait qu’aggraver le problème. Ça recouvre juste ce qui est cassé pour que t’aies pas à le voir. Ici, on les décroche de la dope et on essaie de s’atteler à la raison pour laquelle ils ont commencé à en prendre au départ. La route est longue, y a pas de solution rapide.
— Maintenant que les Aigles ont été liquidés, vous ne pourrez jamais revenir en arrière. Même si vous le vouliez.
— Ce n’était qu’une question de temps, de toute façon. C’est pour ça que je leur ai tourné le dos à ma sortie de prison.
— Je vois pourquoi. Je ne vois pas comment. La couverture Matthew Frye est en béton. Comment vous êtes arrivé à ça ?
— A ma sortie de taule, j’avais besoin d’un nouveau départ. Je voulais laisser le passé derrière moi. Un faux nom fait ça pour vous. Un gars me devait un service, c’est tout. Il s’est même débrouillé pour qu’on se porte garant pour moi. Il a payé une fille pour jouer le rôle de la sœur de Frye. La vraie, c’est une pute qui marche au crack. Elle ne sait pas quel jour on est, encore moins si son frère est vivant ou mort. Si je pouvais l’amener ici, je le ferais mais elle ne veut pas lâcher la drogue. C’est le problème. Il faut le vouloir , même si on pense qu’on n’y arrivera pas. Quelques-uns de nos patients replongent, mais la plupart réussissent. Huit sur dix. Mieux que n’importe quel programme gouvernemental.
— On dirait que t’es en train de gagner ta propre petite guerre à la drogue, hein ? commenta Munro, sans tenter cette fois de masquer son ton sarcastique.
Pennebaker inclina la tête sur le côté. Il pouvait faire aussi dans le sarcasme.
— Walker et moi, on était mêlés à une connerie de guerre totale. Et la « guerre à la Drogue » est une aussi grosse connerie que la guerre pour le pétrole. Criminaliser et emprisonner, ça ne sert à rien, mais personne n’a le courage de changer quoi que ce soit. Un quart de la population carcérale purge une peine pour un délit mineur lié à la drogue et tout le monde s’en bat les couilles.
J’avais déjà entendu ces arguments mais je n’avais pas de réponse à donner. C’était le genre de problématique morale qui pouvait vraiment vous ébranler. Tout ce que je savais – et dont j’étais chaque année plus convaincu –, c’était que le système en place ne fonctionnait pas et que la prétendue « guerre à la Drogue » était ingagnable. Il y avait beaucoup trop de demande, trop de gens qui se faisaient de l’argent facile en fournissant la marchandise, et nous aurions beau en arrêter en grand nombre, il s’en trouverait toujours davantage, prêts à chausser leurs bottes. C’était une bête invincible, omnipotente. Je le savais parce que j’avais été un fantassin dans cette guerre. Nous n’avions apparemment pas tiré les leçons de la Prohibition. Alors qu’on dépensait plus d’argent que jamais dans cette guerre, la production, la distribution et la consommation de drogues comme la coke, l’héroïne et la meth, en particulier, croissaient chaque année. Je connaissais les statistiques – les vraies – et la triste ironie de l’histoire, c’était que cette « guerre à la Drogue » – bon Dieu, cette formule me sortait par les yeux – faisait maintenant plus de dégâts que la toxicomanie. Nous avions simplement créé un immense marché noir international, donné du pouvoir à des armées de criminels organisés, attisé la violence chez nous, dévasté quelques pays étrangers et saccagé la vie d’innombrables consommateurs inoffensifs. Ce qui ne veut pas dire que j’aurais préféré que tout le monde passe son temps à se tirer dessus et à se détruire avec du crack et de la meth. D’un autre
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