L’élixir du diable
maladies du corps et les maladies mentales étaient causées par des esprits néfastes, que ceux-ci devaient être neutralisés grâce à des rituels religieux qui impliquaient souvent la présence de substances psychoactives – des hallucinogènes comme l’ayahuasca, dont ils se servaient pour soigner aussi bien la dépression que des cancers métastasés. Pour un homme comme McKinnon, qui étudiait les remèdes administrés par les guérisseurs et les chamans, ça signifiait qu’il fallait apprendre et comprendre les propriétés des concoctions que les guérisseurs avaient mises au point tout au long des siècles, et des plantes psychoactives qu’elles contenaient.
— La quête de McKinnon impliquait qu’il participe à des rituels religieux et qu’il prenne toutes sortes d’hallucinogènes, dis-je à Tess. Un jour, son travail a mis cette drogue sur son chemin.
— Vous ne savez pas où il l’a découverte, avec quelle tribu ?
— Non. Et il est évident que Navarro ne le savait pas non plus. Pas plus que celui qui court après, maintenant, qu’il s’agisse de Navarro ou de quelqu’un d’autre.
— Mais il est clair que ce produit est vraiment puissant… sans quoi ils ne feraient pas tout cela, cinq ans plus tard, non ? Peut-être as-tu fait ce qu’il fallait… Peut-être… peut-être que s’il avait vécu, les choses seraient bien pires, à l’heure qu’il est…
Michelle avait dit la même chose. J’essayais de m’en persuader depuis des années, et le fait d’entendre Tess le répéter… il y avait peut-être du vrai. En cet instant précis, j’étais heureux que Tess soit encore à mes côtés.
— Mais alors, qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle. Et comment ce produit aurait-il pu supplanter tous les autres ?
Je m’étais posé la question, à l’époque.
— Il y a trois raisons à cela. Primo, McKinnon affirmait que son produit aurait un succès énorme, qu’il contenait une telle énergie que les gens seraient incapables d’y résister, que comparée à ça la meth paraîtrait aussi fade que de l’aspirine… Ce sont les mots mêmes qu’il a employés… Deuzio, il était parvenu à le synthétiser sous forme de pilules. Ce qui veut dire qu’il est facile à prendre. Et l’on sait que la bonne drogue au bon moment peut se répandre aussi vite que la peste. Tertio, puisque Navarro en serait le producteur exclusif, il pourrait le rendre aussi addictif qu’il le souhaiterait. Ce qui serait une catastrophe… car nous parlons ici d’un hallucinogène très lourd.
— C’est-à-dire ?
— Le cerveau de la plupart des êtres humains n’est pas programmé pour supporter les effets d’un hallucinogène de cette puissance. C’est aussi simple que ça. Le cerveau peut gérer les effets de la coke ou de l’héroïne, mais un hallucinogène hard-core est très différent. Il présente un risque sérieux de détériorer en profondeur le tissu psychologique du consommateur. C’est pourquoi certaines religions païennes, par exemple, considèrent que les drogues doivent être réservées au plus petit nombre. C’est-à-dire qu’on ne peut les prendre qu’à l’issue d’une initiation. Ou comme élément d’un rituel, d’un rite de passage… On le fait une fois dans sa vie, peut-être quand on atteint l’âge adulte, à l’aube de la maturité, ou quand on est malade et qu’on a besoin d’être guéri… Les seules personnes qui peuvent en prendre régulièrement sont les chamans et les guérisseurs, et il y a une raison à cela : ils sont entraînés à en contrôler les effets, ils ont consacré leur vie entière à supporter les conséquences de ce qu’on voit, de ce dont on fait l’expérience pendant un trip. Sur le plan biologique, et surtout psychologique, l’individu moyen n’est pas équipé pour ça. Il n’est pas entraîné à réagir à une telle intensité, et d’un point de vue social l’utilisateur moyen ne doit pas y avoir accès. Sur la base de ce que nous en savons, le risque est réel, si une telle drogue se banalisait, qu’elle crée des problèmes dramatiques. Les consommateurs connaîtraient des troubles de fonctionnement importants. Ils pourraient développer dépression chronique et instabilité mentale, souffrir de maladies nerveuses inguérissables. Les services psychiatriques auraient à gérer l’afflux de centaines de milliers de patients. Il suffit de voir à quel point la meth est destructrice, comment elle
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