L’élixir du diable
derrière tout ça… ils pensent que tu l’as, hein ?
Je savais ce qui l’inquiétait.
— C’est mon boulot, Tess. Et je ne suis pas né de la dernière pluie.
Je lui adressai un sourire sans joie.
— Nous savons ce qu’ils cherchent. Ils le veulent et ils pensent que nous l’avons. Ce qui veut dire que nous avons la main. Et qu’on peut les forcer à faire une connerie et à se montrer.
Il fallait que je lui redonne confiance, même si je n’étais pas sûr d’y croire moi-même. Nous ne savions toujours pas à qui nous avions affaire. Je repensai aux paroles de McKinnon. La phrase qui avait tout déclenché.
« En comparaison, la meth paraîtra aussi fade que de l’aspirine. »
Les mots qui avaient scellé son sort.
Et celui de beaucoup d’autres, depuis lors.
D’une manière ou d’une autre, il fallait que j’y mette fin.
Et je savais que pour y parvenir il fallait les faire sortir de leur trou. En me servant de la seule chose qu’ils voulaient, à ma connaissance.
Moi.
48
Hank Corliss gara sa voiture dans le garage à une place attenant à la maison, grimpa les trois petites marches et franchit l’entrée étroite de son foyer, vide et silencieux.
Comme chaque soir.
Il posa son attaché-case sur le canapé et se rendit à la cuisine d’un pas lourd. Il prit un verre dans un placard. Il le remplit à la machine à glaçons du réfrigérateur puis, lentement, il se servit un scotch en contemplant le résultat d’un regard morne. Le verre à la main, il passa au salon, s’installa sur le canapé et alluma le téléviseur. Il ne changea pas de chaîne. Il ne régla pas le volume. Il regardait simplement les images qui se succédaient à l’écran. Il leva son verre pour en siroter la première gorgée, fit couler le whisky dans sa bouche, sentit l’alcool lui brûler la gorge et laissa le liquide opérer sa magie.
Comme chaque soir.
Sauf que ce jour-là les choses étaient un peu différentes.
Ce soir-là, un mince espoir pénétrait son esprit engourdi.
L’espoir que le monstre qui avait anéanti son existence allait peut-être payer enfin pour les horreurs qu’il avait provoquées.
Ce n’était pas sûr. Ce n’était même pas probable. Mais c’était possible. Et ça, ça valait quelque chose. Putain, c’était beaucoup plus que tout ce qu’il avait obtenu depuis des années.
Ses pensées remontèrent à l’époque – cinq ans plus tôt – où il dirigeait le bureau de la DEA à Mexico. Il y menait une guerre ingagnable contre un ennemi sans pitié et armé jusqu’aux dents, un ennemi omniprésent, capable de corrompre n’importe qui. Non seulement la tâche était dangereuse, mais elle était ingrate. Peu de Mexicains acceptaient sa présence et celle de ses agents dans leur pays, même si les guerres de territoire des cartels faisaient chaque année des milliers de victimes. Ils reprochaient aux Américains la situation dans leur pays, critiquant l’insatiable demande de drogue, au nord de la frontière, qui avait créé le marché, tout en fustigeant la quantité illimitée d’armes bon marché qui inondaient le sud du Rio Grande et faisaient couler le sang mexicain avec une sauvagerie toujours plus grande.
« Pauvre Mexique… si loin de Dieu, si près des Etats-Unis ! » raillait, au XIX e siècle, le dictateur Porfirio Diaz.
Pour la plupart de ses compatriotes la formule était toujours d’actualité.
En dépit de tout cela, malgré les difficultés auxquelles il faisait face sur le terrain, Corliss s’était investi dans sa mission avec la volonté de fer et le dévouement qu’on lui connaissait. A ses yeux, ce poste représentait un honneur absolu, le défi ultime pour quelqu’un qui avait consacré sa vie à la guerre contre la drogue. Il lui offrait la possibilité de combattre l’ennemi sur son terrain, de briser le fléau empoisonné à sa source, avant qu’il n’atteigne le sol américain.
De montrer à ces cabrones , à ces lâches, de quel bois il était fait.
Dans l’immédiat, ses hommes et lui avaient marqué quelques points. Face à un nombre croissant de têtes coupées trouvées dans des glacières, de charniers, face à une corruption inflationniste qui n’épargnait pas le sommet de l’Etat, les agents de Corliss avaient mené des raids fructueux sur plusieurs labos, brûlé des tonnes de narcotiques et saisi des millions de dollars de bénéfices illégaux.
Puis il y avait eu la visite.
La visite qui avait tout
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