L’élixir du diable
transforme en zombies des gens en pleine santé, qui ont tout pour réussir… Et ça pourrait être bien pire, ajoutai-je. La meth et le crack, aussi dégueulasses soient-ils… ne reformatent pas le cerveau. Ils font planer, on devient accro, ils vous bousillent le corps, mais quand tu cesses d’en prendre ton cerveau retrouve plus ou moins son état normal, même si tout s’écroule autour de toi. Les hallucinogènes hard-core opèrent tout autrement. Ils sont capables de reprogrammer le cerveau. Celui qui prend des trucs comme ceux dont parlait McKinnon court réellement le risque d’être un autre homme à l’arrivée, avec des points de vue moraux potentiellement différents, une perception totalement différente du monde dans lequel il vit, de ses rapports à ce monde…
Tess semblait larguée.
— Comme… comme l’ayahuasca ? C’est un hallucinogène hard-core, non ? Je me rappelle un article sur des dépressifs chroniques qui étaient allés passer une semaine ou deux au fond de l’Amazonie, auprès de chamans qui leur en avaient fait prendre. A leur retour, ils disaient que ça les avait guéris…
— Oui, mais ils l’avaient fait dans le cadre d’une cérémonie, assistés d’un guérisseur. Et ils l’avaient pris pour se soigner. Ce genre d’article donne parfois l’impression que ces drogues sont un remède facile à tous nos problèmes. On croirait presque que l’ayahuasca est la panacée contre la dépression, et qu’on devrait prescrire de l’iboga à tous les héroïnomanes pour les aider à s’en sortir. Or, avec ces hallucinogènes, la question est moins du côté de la drogue que du consommateur. La question est de savoir dans quel état d’esprit on se trouve, ce qu’on espère en tirer, si on a la résistance nécessaire… et le soutien adéquat. C’est crucial. L’assistance, le cadre ritualisé et sacré, avec ceux qui t’entourent et les chamans qui veillent sur toi et te guident durant ton trip. Si le produit est balancé dans la rue, le junkie moyen, pas plus que l’ado de banlieue qui s’éclate dans un squat, dans sa cave ou dans le vacarme et la lumière stroboscopique d’une boîte de nuit, n’aura rien de tout cela. Qui le guidera ? Où sera le sorcier expérimenté capable d’interpréter avec lui les images refoulées auxquelles il sera confronté, de lui expliquer qu’il n’est pas en train de devenir dingue et de l’aider à comprendre ce que son inconscient est en train de lui dire ?
— D’accord, mais si la drogue se révèle dangereuse et provoque de mauvais trips, ça dissuadera les gens d’en prendre, non ? Je n’ai pas l’impression qu’elle serait très populaire dans les boîtes…
Je secouai la tête, un peu ironique.
— La psychologie du drogué n’a pas grand-chose à voir avec le bon sens. Tu le sais bien. Les gens cherchent ce qui est dangereux. Comme avec l’héroïne. Régulièrement, on voit arriver dans la rue une nouvelle molécule qui provoque des tas d’overdoses. Et tu sais quoi ? Tout le monde veut y goûter. Ils sont prêts à payer encore plus cher pour ça. Ils le cherchent. Suffit de savoir que des gens en meurent pour que ça devienne encore plus populaire. Comme avec le sida et les seringues, ou le krokodil, ce substitut de l’héroïne qui fait tant de ravages à Moscou. Les gens qui aiment ce genre de saloperies ne réagissent pas de manière rationnelle, par définition. Ils cherchent le frisson le plus fort disponible sur le marché. Ils en aiment le côté sombre… bien plus intense qu’un film d’horreur en relief. Et si ce n’est pas plus difficile que d’avaler une pilule…
Tess soupira.
— D’accord… fit-elle d’un ton las. Et maintenant ?
— Alex et toi, vous devez rester ici quelque temps. Désolé. Je pense aussi que tu devrais appeler ta mère, et Hazel, et leur donner une vague idée de ce qui se passe. Elles pourront avoir l’œil, en cas d’événement suspect.
— Tu crois que… fit-elle, l’air alarmée.
Je l’interrompis. Je savais ce qu’elle voulait dire.
— Non. Je ne crois pas qu’elles soient en danger. Mais je préfère être sûr que nous prenons toutes les précautions. J’ai déjà demandé au shérif de surveiller le ranch. Discrètement.
— Tu es sûr…
Je posai la main sur son bras.
— Elles sont en sécurité, Tess. J’ai fait le nécessaire.
Elle prit un air morose.
— D’accord. Je… je les appellerai demain. Mais… ceux qui sont
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