L’élixir du diable
changé.
Corliss essayait de ne pas repenser à cette nuit-là, mais il ne pouvait s’en empêcher. Même s’il l’avait voulu, même s’il avait pu, d’une manière ou d’une autre, forcer son esprit, l’obliger à oublier, son corps aurait veillé à ce que cela ne dure pas.
La douleur et les cicatrices laissées par vingt-trois balles ne le permettaient pas.
Il ne s’était pas attendu à l’attaque. Personne ne pouvait la prévoir. Pas chez lui. Pas dans une enceinte protégée, pas au domicile privé du chef de la DEA au Mexique. Mais c’était là que c’était arrivé. Et le déluge d’images douloureuses qui ravageait son esprit quand il revivait les événements était si intense, si irréel, qu’il ne savait plus ce qui était réel et ce qu’il imaginait.
Les hommes avaient fait irruption au milieu de la nuit et les avaient tirés du sommeil, sa femme Laura et lui. Quatre hommes cagoulés, quatre démons sans âme qui avaient surgi du fond de l’enfer, les avaient sortis du lit et les avaient jetés dans leur salon où il avait dû faire face à sa terreur la plus profonde : Wendy, leur petite fille de neuf ans, le visage déformé par la terreur, entre les griffes de l’un de ces hommes. Celui qui était leur chef. Celui qui ne prenait même pas la peine de porter un masque.
Raoul Navarro.
L’homme qui ne se laissait jamais photographier, dont l’agence ne possédait que deux ou trois clichés anciens et granuleux. Et il était là, dans le salon de Hank Corliss, à visage découvert.
Ce qui ne présageait rien de bon.
Le Mexicain avait pris Wendy par le cou, contre lui. De l’autre main, il pressait un couteau, petit et très fin, sur la gorge de la fillette. La taille du couteau n’avait rien de rassurant, la lame lisse et brillante semblait capable d’une redoutable férocité.
— Tu as pris quelque chose qui m’appartient, fit Navarro. Je veux le récupérer.
Tout d’abord, l’esprit terrifié de Corliss refusa d’enregistrer le message. Il ne comprenait pas ce que voulait cet homme. Il le supplia de laisser partir sa fille, lui promit de lui donner tout ce qu’il exigerait, demanda qu’il lui explique de quoi il parlait.
— McKinnon, fit Navarro d’un ton glacé.
Dans un éclair aveuglant, Corliss comprit enfin.
— Le journal, murmura-t-il. Je l’ai. Il est ici.
Il montra un meuble dans un angle du salon, suppliant du regard qu’on le laisse aller le chercher.
Navarro hocha la tête. Corliss traversa la pièce, le souffle court, et fouilla nerveusement le tiroir, d’où il sortit le vieux cahier à couverture de cuir usagée.
Le journal qu’il avait fait traduire par un analyste de l’agence.
Celui dont il n’aurait communiqué le contenu à personne d’autre.
Il le montra à son geôlier, comme un trophée.
— Voici, dit-il en se dirigeant vers Navarro d’un pas hésitant, tel un suppliant approchant de son bourreau. Maintenant, je t’en supplie… laisse-la partir.
Sur un signe de Navarro, un des hommes s’avança et prit le journal, qu’il fourra dans son sac à dos.
— Je t’en supplie… fit Corliss.
Navarro eut un sourire ignoble. Un sourire beaucoup plus terrifiant que la grimace la plus horrible.
— Tu me prends pour un baboso ?
Corliss ne comprenait pas.
— Ce n’est pas pour ça que je suis venu, ajouta Navarro avec un regard assassin, en resserrant sa prise sur Wendy et en pressant la lame contre la peau de la petite fille.
Corliss voyait la veine de Wendy battre contre le fil du couteau.
— Non, je t’en supplie… Je ne sais pas ce que…
Il comprit soudain, et il eut envie de vomir. Il comprit ce que Navarro était venu chercher. Ce fut aussi violent qu’une décharge électrique.
— Ecoute-moi, dit-il au Mexicain. Nous ne l’avons pas. Nous n’avons pas pu y accéder…
— Conneries !
Navarro appuya un peu plus sur la lame.
— Je te dis que nous ne l’avons jamais trouvé. L’ordinateur… il fallait un mot de passe, nous n’avons pas pu le forcer. Le disque dur s’est effacé. Je te dis que nous ne l’avons pas.
— Je ne te le demanderai plus.
Corliss se creusait la cervelle pour trouver une réponse.
— Je t’en supplie. Tu dois me croire. Si je l’avais, je te le donnerais. Je te donnerais tout ce que tu veux. Mais ne… ne lui fais pas de mal. Je t’en supplie.
Alors il vit. Navarro plissa les yeux, sa mâchoire se durcit. Il soupira, excédé. Ses doigts serrèrent encore leur
Weitere Kostenlose Bücher