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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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embonpoint, un visage que nos poupelets de cour n’auraient pas trouvé
beau, parce que les traits n’en étaient pas réguliers. Mais à mes yeux, cette
irrégularité était rachetée, si tant est qu’elle eût besoin de l’être, par une
bouche sensible, des yeux noirs méditatifs et un grand front qui n’était point
gâté par cette frange clairsemée de sottes petites boucles qu’affectent nos
élégantes, mais, bien au rebours, mise en valeur par le fait que ses cheveux
noirs, drus et abondants, étaient rejetés en arrière.
    Je n’ai jamais vu à la Cour de France qu’une seule femme
coiffée ainsi : la reine. Et il est constant que cette coiffure a de la
dignité, parce qu’elle dégage le front. Mais à mon sentiment, tant vaut le
front que valent les yeux et, par malheur, chez la reine, ils étaient pâles, à
fleur de tête, et surmontés de sourcils sans couleur et quasi invisibles. Si
bien que l’ampleur de son os frontal ne réussissait pas à donner de l’esprit à
cette physionomie à la fois molle et dure. Il était large, certes, mais comme
celui d’un bovin. On n’y lisait que de l’obstination.
    Chez la Gräfin, le front était souligné par des
sourcils noirs bien dessinés, et s’embellissait encore du feu de ses prunelles,
lequel, couvant, luisant, ou jaillissant en soudaines flammes, attestait
l’intensité de sa vie intérieure, comme aussi faisait sa bouche, toujours
expressive, même au repos. Le regard pouvait être incisif, la parole nette, la
bouche ferme, mais pour peu que la Gräfin se sentît en confiance, aimée
et respectée, ses yeux et ses lèvres pouvaient s’abandonner quasi à son insu à
des promesses infinies, quoique encore voilées et retenues.
    Elle était une fort haute dame en son pays, étant proche
parente de l’Électeur palatin, toutefois aimant Paris où elle possédait un bel
hôtel rue des Bourbons, elle y séjournait la plupart du temps, mais sans
toutefois paraître à la Cour, pour ce quêtant veuve, elle n’avait pas de goût
pour les vanités du monde et ne se sentait pas non plus fort à l’aise dans le
nôtre, étant protestante. Henri qui la protégeait et qui, sans doute,
l’utilisait aussi dans sa diplomatie secrète (maintenant des liens très étroits
avec les princes luthériens d’Allemagne) me l’avait donnée comme maîtresse
d’allemand – emploi bien peu en rapport avec son rang et sa fortune. Dès
que je la vis, et je la vis pour mes leçons deux ou trois fois la semaine, je
m’épris d’elle à la fureur. Mais, que dire ici que ma belle lectrice n’entende
avant même que je n’ouvre la bouche ? la maturité de la Gräfin  –
cette arrière-saison toujours si attrayante chez les femmes – n’était à
mes yeux qu’un charme de plus.
    Mais puisque j’explique ici, en même temps que mes songes,
le quotidien de ma vie, je dirais qu’au rebours des propos déprisants de Madame
de Guise je n’ai jamais considéré Toinon et après elle Louison, comme
« des quignons de pain qu’on grignote sur le bord d’un talus ».
    C’était là parole de duchesse envieuse de l’insolente
jeunesse de femmes roturières. Mes chambrières, ou comme eût dit Toinon, mes
soubrettes, n’étaient pas « nées » en effet, mais leur non-naissance
ne les empêchait pas d’être présentes, tièdes et tendres, dans mes bras. Et
pour Toinon qui fut la première à m’apprendre les complaisances et les
enchériments, j’avais conçu un attachement qui ne me devint sensible que par le
chagrin que j’éprouvai quand elle me quitta. Mais enfin, il ne m’échappait pas
que l’une et l’autre ne m’avaient appartenu que parce qu’elles étaient pauvres
et sans qu’elles eussent eu véritablement le choix. Cela ne veut pas dire
qu’elles y allassent à contrecœur. Toinon, avec son bon sens populaire, avait
excellemment résumé son service : « Je me trouve bien céans,
Monsieur. Peu à faire et rien que de plaisant. »
    Ma Gräfin  – si du moins j’ose dire
« ma » – avait de l’esprit, de la lecture, un grand usage du
monde, une morale scrupuleuse, la connaissance éclairée des problèmes de la
vie, et, contenu, retenu, bridé mais présent, un grand frémissement de
générosité.
    La splendide aura qui l’entourait m’éblouissait de si haut
que, béjaune que j’étais, je la croyais inaccessible, tant je me sentais
au-dessous d’elle, incapable que j’étais d’entendre qu’elle se

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