L'Enfant-Roi
sentait, elle,
au-dessous de moi, en raison de son âge et du mien. Toutefois, quand elle
partit pour Heidelberg pour régler la succession de son père, nous étions en
train de comprendre par une sorte de lent et délicieux progrès que les
distances qui nous séparaient n’étaient pas aussi infranchissables que nous
l’avions cru.
C’est dire si j’avais accueilli avec transport son projet de
revenir vivre à Paris, mais après ce qu’avait dit Madame de Guise sur le
retournement de notre politique vis-à-vis des Habsbourg, je commençais à
redouter qu’une étrangère de confession luthérienne ne fût peut-être pas persona
grata aux yeux de nos nouveaux maîtres. En fait, mes craintes de lui voir
interdire notre territoire devinrent plus vives encore au cours d’un entretien
que nous eûmes avec Pierre de l’Estoile en notre logis du Champ Fleuri, car les
faits qu’il nous rapporta, toujours puisés aux meilleures sources, jetèrent sur
la situation du royaume un jour qui ne laissa pas de m’inquiéter en tant que
Français, certes, mais aussi en tant qu’amant.
Cette journée qui finit si mal pour moi avait pourtant
commencé dans la gaîté. Car tandis qu’elle nous servait le déjeuner, Mariette
nous régala d’une de ces histoires miraculeuses qu’elle recueillait avec zèle
de la bouche des commères du quartier, quand ses deux grands paniers
arrondissant ses vastes hanches de dextre et de senestre, elle allait à la
moutarde, suivie et protégée dans nos rues périlleuses par Pissebœuf et
Poussevent.
— Monchieur le Marquis, dit-elle à son retour,
j’ai à vous conter, ch’il vous plaît de m’ouïr, un grand miracle que je
tiens pour chûr, vu que ma commère le tient du curé de cha paroiche.
— Parle, parle, Mariette, dit mon père avec sa
coutumière bonhomie.
— Dans le quartier de Hulepoix vit une fille
nommée Pérrichou qui est vierge et pucelle.
— N’est-ce pas déjà étonnant qu’elle soit les
deux ? dit La Surie.
— Et chette fille, dit Mariette, resta
vingt-sept jours chans picher.
— Pisser, sans doute ? dit La Surie.
— Ch’est bien che que j’ai dit : picher.
— Vingt-sept jours, dit mon père, et elle n’en
mourut pas ?
— Nenni.
— C’est déjà un premier miracle, dit mon père.
— Poursuivez, Mariette, dit La Surie.
— Elle avait le ventre dur comme pierre et chouffrait les nonante tourments de l’enfer.
— Nonante ? dit La Surie. Je ne savais pas qu’il y
eût tant : voilà qui fait réfléchir !
— Poursuis, Mariette, dit mon père.
— Par bonheur, Monchieur le Marquis, un bon père
jésuite pacha en sa rue, lequel, oyant des cris déchirants, et instruit
du pourquoi de la chose, chuchpendit au cou de la garcelette une relique
de saint Ignache de Loyola, bien chellée et cachetée, laquelle
devait chûrement guérir la pauvrette de son mal, pour peu qu’elle
promît, la veille des fêtes, de jeûner, de se confecher et de communier.
La garchelette promit et bien elle ch’en trouva, car tout choudain elle picha, picha, picha que ch’était un vrai torrent qui chortait d’elle !…
— C’était bien le moins après vingt-sept jours de
rétention, dit mon père. La grand merci à toi, Mariette, de nous avoir appris
ce beau miracle.
— On l’appelle le miracle picheux, dit Mariette,
et il est chélèbre dans tout le quartier de Hulepoix. On l’a même
imprimé.
— Toutefois, Mariette, dit La Surie, tu devrais te
rappeler que feu le père Ignace de Loyola n’est pas encore saint. Il n’est que
béat.
— Je m’en chouviendrai, Monsieur le Chevalier,
dit Mariette.
Pierre de l’Estoile, qui fut notre hôte ce jour-là, était de
robe, quoique allié dans sa famille à quelque noblesse, honnête bourgeois
parisien bien garni en pécunes (mais le cachant) et assurément plus fidèle à
son roi et à la nation que bien des ducs que je pourrais citer. Il avait vendu
sa charge de grand audiencier quelques années auparavant, mais conservait au
Parlement et à la Cour un grand nombre d’amis, tant est que rien ne se passait
au Palais et au Louvre qu’il ne sût. Mon père lui portait une grande amitié et
ne laissait pas non plus de trouver son commerce des plus instructifs, bien que
coloré du pessimisme le plus noir quant à son sort personnel et à l’avenir du
royaume. Il faut dire que l’humeur de Pierre de l’Estoile qui, de tout temps,
avait été mélancolique
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