L'Enfant-Roi
(jusqu’à ne pas vouloir être enterré dans l’église de sa
paroisse parce qu’il la trouvait trop sombre) s’était muée en désespérance
infinie depuis la mort du roi, alors même qu’en bon Gaulois, il n’avait pas
manqué, tout en l’aimant, de dauber sur Sa Majesté, quand nous avions encore le
bonheur de l’avoir parmi nous.
Dès la première bouchée de notre dîner (qu’il avala de bon
appétit), l’Estoile nous annonça d’entrée d’un air chagrin que cette fois
c’était bien fini, qu’il était ruiné (ce qui était faux) et qu’il se
rapprochait à grands pas de la mort (ce qui, hélas, se vérifia quelques mois
plus tard).
Quant à notre pauvre désolée France, elle ne se trouvait pas
en meilleur point que lui, étant livrée au gaspillage le plus éhonté de
clicailles et à deux doigts d’être taillée et démembrée par ses ennemis.
Toutefois, en cette diatribe, il demeurait fort prudent, passant du français au
latin dès que Mariette entrait dans la pièce pour nous apporter un plat.
Quant à son physique, que je le dise enfin, notre ami avait
fort peu à se glorifier dans la chair, étant courbé, rabougri, et le visage
sillonné de rides profondes, mais l’œil vif, aigu, parfois égrillard, quand il
citait ces vers et chansons dévergognés dont les Parisiens sont si friands.
L’Estoile, lui, précisait qu’il n’en faisait état que comme témoignage sur les
mœurs du temps.
— C’est un bien curieux gouvernement que celui de
(Mariette venait d’entrer dans la pièce) istius mulieris [3] .
Il y a le Conseil de régence institué par notre défunt roi. Et celui-là
comprend les princes du sang, les ducs et pairs, les maréchaux et le cardinal
de Joyeuse. C’est un Conseil que je dirais de faste et de mine. On y
discourt beaucoup, mais quand on prend une décision, elle n’est presque jamais
exécutée. Plus agissant est le Conseil secret que j’appelle, quant à moi, le Conseil
de la petite écritoire. Il est composé d’une poignée de gens : les Barbons, le procureur Dolé qui est l’avocat de la régente, le père Cotton, plus
douceret et chattemite que jamais…
— Vous n’aimez pas les jésuites, Monsieur ? dit La
Surie d’un air innocent.
— J’aimerais fort les jésuites français, dit Pierre de
l’Estoile après avoir attendu que Mariette fût sortie de la pièce, s’ils
étaient des loyaux sujets du roi de France. Mais ils sont, hélas, tout donnés
et dévoués au pape et au roi d’Espagne. En outre, je ne goûte guère que le père
Cotton tienne notre petit roi une grosse heure à confesse… Avec Henri, elle
durait cinq minutes. J’en conclus que ce Cotton-là abuse du jeune âge de Louis
pour l’encottonner et lui tirer les vermes du nez.
— Dieu merci, dit mon père, il perd son temps. Bon sang
ne saurait mentir. À mon sentiment, Louis est déjà aussi anti-espagnol qu’on
peut l’être. En outre, dès lors qu’il n’est pas en confiance, il se ferme comme
une huître. Mais, poursuivez, de grâce, mon ami.
— Où en étais-je ?
— À la composition du Conseil de la petite
écritoire.
— Je reprends : les Barbons, Dolé,
le père Cotton, le nonce du pape, l’ambassadeur d’Espagne.
— Quoi ! s’écria mon père avec la dernière
véhémence, le nonce du pape ! L’ambassadeur d’Espagne ! Des étrangers
siègent au Conseil qui gouverne la France ! Pauvre malheureux pays déjà
vassalisé ! Et pauvre Henri qui avait tant à cœur les intérêts de ce
royaume ! Que ne peut-il sortir de sa tombe pour mettre fin à cette
trahison !
— Je n’ai pas terminé, dit l’Estoile. Le pire est
encore à venir. Siègent encore au Conseil de la petite écritoire Leonora
Galigaï et Concino Concini…
— Leonora et Concini ! s’écria mon père.
Véritablement, j’étouffe ! Les mots me manquent ! Cette fille de
néant ! Ce louche aventurier ! Et les décisions de cet infâme Conseil
ont force de loi !
— Pas toujours. Car après chaque séance, la reine
consulte encore Dolé, Leonora et Concini, et change parfois, selon leurs avis,
les décisions qui viennent d’être prises. Ce qui rend les Barbons furieux, mais ils n’osent s’en plaindre qu’à mi-bouche.
— Que ne démissionnent-ils ? s’écria alors La
Surie, au lieu de se faire les complices de cette triste palinodie ! Ils
devraient entendre qu’ils ne sont plus des ministres, mais des valets… Et qu’en
fin de compte, ce
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