L'Enfant-Roi
premier gentilhomme de la Chambre ne demandât pas aussi
celui du roi.
Ce que je fis le lendemain et fus bien reçu de Louis qui
m’accorda aussitôt d’être de l’avant-garde avec mon père et La Surie pourvu que
sa mère l’eût pour agréable. Il achevait ces mots quand on lui apporta la
cuirasse qu’on avait fait faire tout exprès pour ce grand voyage à l’Ouest au
cas où Condé attaquerait : occurrence bien peu probable, car Condé, au
seul bruit que les six mille Suisses allaient faire mouvement le long de la
rivière de Loire, avait cessé de mugueter Poitiers et s’était retiré plus au
sud, la queue entre les jambes. Je confesse qu’en y repensant quelque peu comme
j’écris ces lignes, quarante ans plus tard, c’est toujours pour moi un
insondable mystère qu’un homme aussi couard ait pu engendrer un fils aussi
vaillant [49] .
Quoi qu’il en fût, mon petit roi fut ivre de joie à revêtir
sa cuirasse. Il se mit dans cette enveloppe d’acier comme si, de par sa vertu,
il allait tout soudain se retrouver homme et dans la peau de son père. Il
marchait qui-cy qui-là dans ses appartements, insoucieux de la sueur qui, en
cet attirail et par la chaleur de ce juillet, lui ruisselait sur les joues, fléchissant
bras et jambes pour essayer la souplesse des articulations métalliques, et se
faisant apporter épée de guerre et arquebuse (notamment « sa grosse
Vitry ») pour voir si, en cet appareil, il serait capable de les manier.
Il sortit sur la galerie et il courut quelque peu pour se rendre compte si le
poids ne ralentissait pas trop ses mouvements. Il voulut même qu’on lui sellât
et amenât son cheval, afin qu’il pût décider s’il ne perdait pas trop de ses
qualités cavalières à être ainsi appesanti.
Transpirant héroïquement, Louis voulut de force forcée
garder sur lui cette cuirasse plusieurs heures. Et quand enfin il la dut ôter
sur la pressante injonction de Monsieur de Souvré, il désira la garder à côté
de son lit et sous ses yeux, en attendant qu’on la mît à sa plus proche portée
dans les bagues de son carrosse. À mon sentiment, il n’avait jamais tant désiré
avoir quelques années de plus et être le maître enfin en son royaume pour aller
prendre Condé par la peau de son petit cou et le ramener, humilié et repentant,
à Paris, comme son père avait fait pour le duc de Bouillon, lequel fanfaronnait
sur les remparts de Sedan jusqu’à ce que notre Henri apparût sous ses murs,
armé en guerre et accompagné de ses soldats.
Louis eût dû partir le deux juillet, mais les inévitables
retardements qu’on voit toujours en ces grandes entreprises firent qu’il
n’entra en carrosse que le cinq juillet à sept heures et demie du matin.
Mon père, La Surie et moi, nous étions partis à six heures
et, rattrapant les Suisses, lesquels, étant à pied, avaient quitté Paris à
quatre heures et demie après minuit, nous les dépassâmes sans encombre et
atteignîmes Longjumeau à huit heures et demie, bien assez à temps pour faire
préparer le couvert que Leurs Majestés et les Grands du Louvre devaient y
prendre, car le gîte, lui, était prévu à Ollainville.
Cinq lieues [50] séparent Paris de Longjumeau et il
fallut trois heures au cortège royal pour les parcourir. C’est dire si la
progression fut lente ! Quant à nous, roulant sans embarras et sans
poussière, sur un grand chemin où il n’y avait personne devant nous, notre
vitesse nous combla d’aise, étant de deux lieues à l’heure [51] .
Il y avait pour Louis un grand avantage à ce voyage. Outre
qu’il apprenait à connaître les monts, les vallées, les villages et les villes
de son grand royaume, son emploi du temps était tel qu’à son grand soulagement,
il excluait l’étude. En contrepartie, quand les lieux de repos ou de gîte
rendaient chasse et oisellerie impossibles, il aimait trop l’action pour ne
s’ennuyer point.
On avait, en effet, sagement décidé que le convoi royal ne
roulerait que trois heures tôt dans la matinée et ne reprendrait route qu’assez
tard dans l’après-midi pour éviter le gros de la chaleur. Et de nouveau, comme
le matin, on ne roulait alors pas plus de trois heures. On ménageait ainsi les
pieds des chevaux, lesquels eussent pu sans cela attraper une fourbure qui eût
ruiné le dessous de leurs sabots – et on épargnait aussi les tripes, les
reins et les dos des humains, fort malmenés dans les carrosses par les
inégalités et
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