L'Enfant-Roi
demeurai à
son côté sans bouger ni parler. Mais que ce ne fût pas là non plus le meilleur
parti, je m’en aperçus aussitôt, car elle se mit à pleurer sans bruit à mon
côté et sans tourner la tête. Je la pris alors dans mes bras, je la serrai avec
force, je l’écrasai sous moi, mais il me parut qu’il n’y avait pas de sens à
aller plus loin : c’eût été une sorte de forcement, tant elle était
inerte. Cependant, ses yeux fixés sur les miens n’exprimaient ni fâcherie, ni
colère, ni ressentiment. Ils n’étaient que tendresse. Et bien que je ne fusse
pas coupable, ce regard me bouleversa et me donna du remords. Était-il donc
possible de tant faire souffrir un être alors qu’on l’aimait tant ? Les
larmes me vinrent aux yeux et je me remis à lui parler, ne sachant trop que
dire et répétant à l’infini les mêmes protestations qu’elle avait appelées
chattemites et qui me paraissaient, tandis que je les prononçais, non point
hypocrites, mais faibles et futiles, tant elles glissaient sur son chagrin sans
y trouver aucune faille par où elles eussent pu pénétrer pour lui apporter la
rémission de son mal.
Tout l’après-midi se passa de la sorte sans qu’elle ouvrît
la bouche, à tel point que j’eusse cru qu’elle avait perdu la parole si, en
penchant mon oreille sur ses lèvres que je vis remuer quelque peu, je ne
l’avais ouïe répéter mon prénom avec un timbre si lointain qu’il me semblait
qu’elle se trouvait sur la rive d’une large rivière et moi-même sur la rive
opposée, l’eau et la brume nous séparant et le vent m’apportant sa voix avec un
son plaintif qui me serrait le cœur.
CHAPITRE X
Bien qu’on eût dit au Louvre que serait réduit au minimum le
nombre de gentilshommes et de dames autorisés à accompagner Leurs Majestés en
leur grand voyage à l’Ouest, il n’en fut rien. Les courtisans furent saisis
d’une si étrange frénésie d’en être qu’ils n’épargnèrent rien pour se trouver
parmi les élus, ni les intrigues, ni les brigues, ni les supplications aux
pieds de la régente, ni les épingles glissées à la Conchine : tant est que
peu à peu la liste des invités prit un ventre démesuré.
Et comme ces heureux ou ces malheureux – car ils
couraient grand danger de se ruiner, le voyage étant à leurs frais –
tenaient à point d’honneur de se faire accompagner à tout le moins par une
douzaine de leurs gens, la régente et le petit roi furent suivis sur les
chemins de France par plusieurs milliers de personnes. Les uns, selon leur
rang, dans des carrosses armoriés, d’autres dans des coches de louage, d’autres
sur des chevaux et des mulets, le domestique enfin sur des chariots.
On avait pourtant donné des instructions sévères pour
limiter les suites de chacun, à commencer par les ducs et pairs. D’ordre de la
régente, le grand chambellan, de sa belle voix grave et dans les termes les
plus exquis, avait supplié la duchesse de Guise de restreindre son train autant
que faire se pût. Quoique rechignante et rebéquée, ma bonne marraine obéit, ou
crut en conscience obéir, tant est que ledit train, comme elle voulut bien me
le confier à son départir de Paris, lui paraissait mesquin à pleurer.
« Oui voudra croire, dit-elle, en me voyant passer, que je suis princesse
de Bourbon et duchesse douairière de Guise ? »
Toutefois, quand je vis son train à Orléans, je n’en jugeai
pas ainsi. Il est vrai que dans son propre carrosse, ma bonne marraine
n’emmenait avec elle qu’une seule demoiselle d’honneur, et la princesse de
Conti, une seule dame d’atour. Mais il n’y avait pas à cela grand mérite. Avec
les considérables vertugadins qui arrondissaient les hanches des princesses, il
eût été difficile de loger là une dame de plus.
Cependant, dans un deuxième carrosse avaient pris place,
triés sur le volet, six gentilshommes de la maison de Guise, beaux, vaillants
et superbement attifurés, lesquels, à vrai dire, n’étaient là que pour la
montre, car avec une escorte de six mille Suisses, le cortège royal ne risquait
pas d’être attaqué par les gautiers ou les croquants.
Un troisième carrosse, que présidait Monsieur de
Réchignevoisin, était occupé par le médecin de la duchesse, son masseur, son
aumônier et son astrologue, afin que ni l’estomac surmené de ma bonne marraine,
ni sa peau délicate, ni son âme inquiète, ni son prévisible avenir ne
risquassent de se
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