L'Enfant-Roi
faisait pas scrupule de se vautrer dans la plus dévergognée
mauvaise foi, tandis que ma Gräfin conservait jusque dans son ire –
en bonne huguenote ou en bonne Palatine, je ne saurais trancher – le souci
consciencieux de n’être pas injuste.
Elle baissa les yeux, des gouttes de sueur perlant à son
front et ses deux mains entrelaçant leurs doigts sur ses genoux, elle demeura
un instant immobile, bien qu’encore haletante, tâchant de rentrer en elle-même
et de remettre de l’ordre dans ses émeuvements. Pour ma part, étant jaloux
comme Turc à son endroit tout autant qu’elle pouvait l’être de moi, et jusqu’à
sentir de l’humeur quand un valet la regardait, je me sentais indulgent à sa
colère et compatissant à ses affres. J’entendais bien, au surplus, que la
différence de son âge et du mien rendait plus cruelles ses souffrances par la
conscience qu’elle lui donnait que ses beautés jetaient leurs derniers feux et
qu’un amant si jeune, tout ardent qu’il fût, ne saurait demeurer prisonnier de
ses charmes jusqu’à la fin de ses terrestres jours.
Je m’accoisai, ne voulant pas après ce reproche sans ambages
que je lui avais adressé, appuyer sur la chanterelle plus qu’il n’était besoin,
et d’autant que j’étais maintenant bien assuré quelle avait tout senti et tout
deviné de l’humeur dans laquelle j’envisageais ce voyage à l’Ouest, étant sans
nul doute fort attristé à l’idée de ne point voir ma Gräfin bien-aimée
pendant tant de semaines, mais en même temps plein d’appétit pour cette grande
aventure dont je me promettais beaucoup, mais point toutefois comme elle
l’imaginait. Belle lectrice, vous qui embrassez à s’teure chaleureusement le
parti de Madame de Lichtenberg, de grâce, ne me gardez point mauvaise dent de
cet aveu : j’étais bien jeune alors et mes yeux s’ouvraient sur le monde
avec une avidité que j’ai du mal ce jour d’hui à imaginer.
— Mon Pierre, dit-elle enfin d’une voix lasse et basse,
je vous demande mille pardons d’avoir ainsi parlé de Monsieur votre père et
d’avoir soupçonné votre bonne foi sans d’autres raisons que mes craintes.
— Ah ! M’amie ! m’écriai-je en me jetant à
ses genoux et en baisant ses mains et ses beaux bras nus, de grâce, ne me
demandez pas pardon et enterrons cette querelle-là à jamais ! Ne vous
ai-je pas moi-même quasiment chanté pouilles un jour à cause de
Bassompierre ! Et ne savez-vous pas que vous êtes pour moi tout l’horizon
de ma vie et qu’il n’y a garcelette, ni haute dame au monde qui puisse se
mettre, fût-ce le temps d’un soupir, entre vous et moi ? Au retour de ce
grand voyage à l’Ouest, vous me retrouverez tel que je suis ce jour, ne voyant
que vous, n’oyant que votre voix, n’aspirant qu’à vos grâces et ne respirant
que par elles.
Mais on eût dit que ni mes paroles, ni mes raisons n’étaient
plus capables de l’atteindre, tant elle paraissait lointaine, morne,
n’écoutant, les yeux baissés, que sa propre peine. Je l’avais toujours connue
si calme, si soucieuse de mesure, si maîtresse d’elle-même et en un sens même
si olympienne que le subit dérèglement de son humeur me laissait quasiment
incrédule.
Sa galette à demi entamée reposait à côté de celle qu’elle
me destinait et n’avait pas pensé à m’offrir. Elle se leva à la parfin comme
une automate et gagna sa chambre. Je l’y suivis et lui ôtai le peu qu’elle
avait sur elle. Elle souffrit ce dévêtement, les paupières baissées, ses longs
cils faisant une ombre sur ses joues et sans ce frémissement qui la parcourait
d’ordinaire de la tête aux pieds quand elle retournait par mes soins à sa natureté.
Du même pas roide et absent, elle s’étendit d’elle-même sur sa couche et quand
je fus à ses côtés, elle me saisit la main et la serra, mais sans mot piper et
sans me regarder, comme si le poids de sa douleur pesait si lourdement sur sa
poitrine qu’elle lui retirait toute vie et tout espoir. Je lui parlai
longuement et de la façon la plus pressante sans recevoir d’elle la moindre
réplique. Je tâchai alors de la réveiller par ces caresses et ces enchériments
que je savais qu’elle aimait, mais bien qu’elle fît alors quelque effort pour y
répondre, la magie cette fois ne se fit pas.
Il était clair que ma pauvre bien-aimée n’avait plus le cœur
à rien, pas même à nos délices. À la parfin, je perdis courage et je
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