L'Enfant-Roi
les dos d’âne des grands chemins. Du même coup, on donnait
davantage de temps, et aux chevaux pour se reposer, et aux maréchaux-ferrants
pour changer leurs fers, et aux charrons pour revoir les essieux et les roues.
À ce train, on parcourait dix lieues par jour [52] ,
vitesse qui paraissait suffisante et qui n’eût pu de reste être augmentée sans
qu’on rattrapât, puis distançât, dangereusement les fantassins suisses.
Il n’en demeurait pas moins qu’entre dix heures et demie du
matin, heure à laquelle Louis prenait son dîner et quatre heures de
l’après-midi, moment du repartir, le temps paraissait parfois excessivement
long à Louis. À ce qu’on m’a dit, à Langerie, étape entre Toury et Orléans,
dînant dans une maison campagnarde, il alla après sa repue au jardin et tira de
petits oiseaux à l’arquebuse. Il en tua un, les autres s’enfuirent et ne
revinrent plus.
Monsieur de Souvré, le voyant désoccupé et fort malheureux
de l’être, le mena alors dans une grange où il le mit à jouer aux cartes avec
ses gentilshommes. Mais ce jeu, que Louis trouvait oisif et oiseux, le lassa
vite. Il jeta ses cartes et s’en fut voir à l’étable les vaches qu’un valet de
ferme était en train de traire. Il n’avait jamais assisté à cette rustique
occupation, et tout à plein intéressé, il regarda de prime le valet avec une
attention extrême et n’eut de cesse ensuite qu’il n’apprît de lui le tour de
main qu’il y fallait. Après quelques essais et échecs, il réussit à faire
jaillir le lait et se mit alors à traire vache après vache avec un entrain qui
ne se démentit pas, tant est qu’il fallut l’arracher à leurs pis pour le faire
reprendre le carrosse royal.
Un peu avant Orléans, on arrêta le carrosse. On ôta à Louis
son haut-de-chausses et son pourpoint, lesquels, d’après Berlinghen, sentaient
quelque peu la vache et on l’habilla d’une éclatante vêture de satin blanc
garni de perles. Après quoi, on lui amena un cheval blanc superbement
caparaçonné sur lequel, tout heureux, il se mit gaillardement en selle. Et
suivi des officiers de sa maison – dont hélas, je n’étais pas, car
j’assurais le gîte à Orléans – il rattrapa les Suisses lesquels, tout
mercenaires qu’ils fussent, eurent la politesse de l’acclamer, tandis qu’il
dépassait leurs rangs au galop, acclamations qui toutefois furent peu de chose
comparées aux clameurs et aux ovations sans fin du peuple d’Orléans.
Il avait fallu quatre jours et trois nuits ès auberges (ou
ès châteaux pour ce qui concerne le roi) pour couvrir les trente-deux lieues
qui séparaient Orléans de la capitale. Et rares étaient parmi les bons sujets
de cette bonne ville qui eussent pu, ou osé, entreprendre en sens inverse un
voyage aussi long, aussi coûteux et aussi périlleux. Aussi débordaient-ils de
gratitude que Louis fût venu jusqu’à eux et ils n’en croyaient pas leurs yeux
quand ils virent dans leurs murs, et proche quasiment à le toucher, ce roi de
France qui jusque-là n’était pas pour eux moins fabuleux qu’un personnage sacré
sur un vitrail de Sainte-Croix.
Les villes de la rivière de Loire : Orléans, Blois,
Tours, Saumur, Angers et Nantes avaient toutes été prévenues quinze jours à
l’avance de la venue de Leurs Majestés et s’y étaient préparées en nettoyant
les rues, du moins celles où le roi devait passer, et en les embellissant par
des ornements de feuilles et de fleurs et aussi en dressant des échafauds sur
lesquels le roi devait siéger tandis que les corps de la ville lui débiteraient
leurs harangues ampoulées.
Fort soucieux de bien faire son métier, Louis écoutait ces
discours longuissimes avec patience, avec gravité, se remémorant à part soi les
réponses qu’il devait leur faire et que Monsieur de Souvré lui avait baillées
par écrit, mais que toutefois il ne se privait pas de modifier, ne les trouvant
pas toujours à son gré. C’est ainsi qu’à Nantes, recevant les présidents de la
Cour des Comptes, il refusa absolument de leur dire qu’il était « fort
content de leurs services ».
— Je doute, confia-t-il plus tard à Héroard, qu’ils
m’aient tous bien servi…
Ayant une tournure d’esprit dont la logique n’était pas
absente, je trouvais quant à moi quelque peu comique que l’entrée triomphale du
roi en d’aucunes de ses bonnes villes ne coïncidât pas toujours avec l’entrée
réelle. Il y avait
Weitere Kostenlose Bücher