L'Enfant-Roi
coup en en appelant au Conseil du roi, lequel évoqua l’affaire à soi
le trois février, en présence de Condé, lequel aussitôt intervint.
— Et de quel côté ?
— Du côté du tiers état et du Parlement, dont il
voulait s’assurer les sympathies au cas où il serait appelé à prendre le
pouvoir.
— Mais se flatte-t-il vraiment de cette
espérance ?
— Qui sait ? Il n’y a que deux personnes entre le
trône et lui : Louis et Monsieur… Quoi qu’il en soit, le Conseil
prit un arrêt interdisant au Parlement et aux états généraux de disputer le
fameux article premier. Il se réservait le soin de le décider.
— Cela, je gage, ne faisait pas l’affaire du clergé,
puisqu’il se trouvait dessaisi !
— Et en effet il fulmina. Le huit février, le Conseil
s’étant réuni de nouveau, présidé par le roi, Louis fut stupéfait de voir
surgir devant lui le cardinal Du Perron, suivi des cardinaux de Sourdis et de
La Rochefoucauld, suivis eux-mêmes de plusieurs évêques, dont le plus effréné
de tous, Charles Miron, évêque d’Angers, et aussi de quelque noblesse, à
laquelle je me mêlai, fort curieux d’assister à cette séance. À peine entrés,
les prélats, toutes griffes dehors, jetèrent feu et flammes et parlèrent au roi
avec une effroyable insolence : il n’appartenait, dirent-ils, ni aux
états, ni au Parlement, ni au roi, de décider de cet article premier.
L’Église en était le seul juge. Ils ne demandaient pas, ils exigeaient, que
l’arrêt du Conseil du roi pris le trois février fût cassé. « Si on ne cède
pas à cette exigence, dit le cardinal Du Perron, le clergé quittera l’assemblée
des états généraux et jettera l’excommunion et l’anathème sur ceux qui
s’opposent à sa doctrine, tant est qu’ils seront précipités à jamais dans les
peines et les géhennes de l’enfer ! »… Charles Miron renchérit encore
sur ces épouvantables menaces et, joignant le ridicule à l’odieux, ajouta,
quasiment l’écume aux lèvres, que ni lui ni ses pairs ne quitteraient la salle
du Conseil que l’arrêt ne fût cassé sous leurs yeux.
Pâle, muet, Louis assistait à ce déchaînement de violence
qui, empiétant ouvertement sur son autorité, ne respectait ni sa présence, ni
sa personne.
Condé voulut parler, mais il avait à peine ouvert la bouche
que le cardinal de Sourdis lui clouait le bec avec la plus grande brutalité.
— Monsieur, dit-il, étant de la religion que vous êtes [61] , vous n’avez pas à opiner en cette
affaire. Au nom de tout le clergé, je vous récuse !
— Vous me récusez ? dit Condé, béant qu’un prêtre,
fût-il cardinal, osât s’adresser en ces termes au premier prince du sang.
Permettez-moi, je vous prie…
Il n’eut pas le temps d’en dire plus. Louis se leva
vivement, et allant à Condé et se penchant vers lui, lui dit d’un ton
pressant :
— Monsieur, je vous prie, n’en parlez plus !
Puis se retournant vers les autres conseillers, mais sans
daigner jeter un œil sur Du Perron et ses prélats, il poursuivit :
— Puisqu’ils récusent Monsieur le Prince, ils me voudront
enfin récuser.
Et sans y mettre plus de forme, il salua le Conseil, se
couvrit et s’en alla dîner.
*
* *
Je vis Louis le lendemain et comme à l’accoutumée au second
étage, dans son cabinet des armes, sous le prétexte de mesurer notre rapidité à
monter et remonter sa « grosse Vitry ». Le résultat fut sans
surprise, malgré les progrès que j’y avais faits. Il est vrai que je n’y portai
pas l’attention qu’il y eût fallu, car j’attendais les questions du roi et il
fut quelque temps avant d’ouvrir la bouche.
— Sioac, dit-il enfin, mon père a-t-il eu maille
à partir avec le Vatican après qu’il eut été absous par le pape ?
— Oui, Sire, deux fois. Une première fois, après que le
jeune Châtel eut tenté de l’assassiner en 1594. Comme Châtel avait été élève des
jésuites et que leur influence sur lui avait été démontrée, le Parlement leur
fit un procès, un de leurs pères fut pendu, et la compagnie, bannie. Le pape
s’en offensa et fit de vives remontrances à votre père à ce sujet.
— Et la seconde fois ?
— En janvier 1610, cinq mois avant que le roi votre
père tombât sous le couteau de Ravaillac. Le pape condamna, comme il fait
souvent, certains livres, lesquels en conséquence ne devaient être vendus, ni
achetés, ni lus, sous peine de
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