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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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notes ses
paroles liminaires, et moi-même, les trouvant admirables, n’ai eu de cesse que
de me les mettre en mémoire ! M’amie, vous plaît-il que je les verse en
votre mignonne oreille ?
    — Mon Pierre, je ne me lasse pas de vous ouïr. Sie
sind jetzt mein Lehrer [57] .
    Ce tendre rappel des débuts de notre grande amour me gela le
bec, si grand fut l’émeuvement où il me jeta. La merveilleuse présence de ma Gräfin m’avait rendu si cher l’allemand que pendant des mois elle m’avait appris qu’à
ce jour même je ne pouvais ouïr de sa bouche une phrase en cette langue sans
que tout s’interrompît en moi et sans tout oublier, hors le jour de ma première
leçon avec elle. C’est pourquoi je juge qu’entre les infinies passions des
amants, il n’en est pas de plus précieuse – je ne dis pas de plus
intense – que celle qui naît de la remembrance des douceurs passées.
    — Eh bien ? reprit-elle avec cette pudeur
particulière qui nous fait, comme malgré nous, écourter les moments où nous
sommes le plus proches l’un de l’autre, que dit donc Monsieur de Mesmes que
vous ayez trouvé si admirable ?
    — Ai-je dit « admirable » ? J’eusse
mieux fait de dire « caractéristique ». Jugez-en, m’amie.
« Messieurs, dit Mesmes en s’adressant à la noblesse, considérez que les
trois ordres sont trois frères, enfants de leur mère commune, la France. Le
clergé est l’aîné, la noblesse, le puîné, le tiers état, le cadet. Pour cette
considération, le Tiers a toujours reconnu Messieurs de la noblesse être élevés
de quelque degré par-dessus lui. » (Oyez-vous cela, m’amie ? De
« quelque degré » ! Et jugez si le « quelque degré » a
été bien accueilli ! Toutefois le pis est encore à venir !)
« Toutefois, poursuivit Mesmes, la noblesse doit reconnaître le tiers état
comme son frère et ne pas le mépriser de tant que de ne le compter pour rien,
étant composé de plusieurs personnes remarquables, qui ont des charges et des
dignités… et qu’au reste, il se trouve bien souvent dans les familles
particulières que les aînés rabaissent les maisons et les cadets les relèvent
et les portent au point de gloire. » Mesmes, m’amie, ne put aller plus loin.
Les clameurs se déchaînèrent, le réduisant au silence. « Mordi !
hurlèrent les gentilshommes, des frères ! Nous ne voulons pas que des fils
de cordonniers ou de savatiers nous appellent ainsi ! Leurs frères,
mordi ! Il y a de nous à eux autant de différence qu’entre le maître et le
valet ! » Et blessés, outrés, hors d’eux-mêmes, ils allèrent en
corps, je dis bien en corps – et ils étaient cent
trente-huit ! – se plaindre au roi de ce nouvel affront.
    — Dieu du ciel ! Quelle drôlerie est-ce là !
s’écria Madame de Lichtenberg en riant aux larmes. On dirait des enfantelets
qui se chamaillent et dont l’un va pleurnicher dans le pourpoint de son papa,
lequel papa n’a pas encore quatorze ans ! Sauf que c’est le cadet qui,
d’ordinaire, court se plaindre de son aîné, alors qu’en cette occasion, c’est
l’inverse !
    — Ah, m’amie, dis-je en riant aussi, il est heureux que
ledit « frère aîné » ne puisse vous ouïr ! Il vous haïrait de
l’appeler ainsi !
    De retour, le soir tombé, en notre hôtel de la rue du Champ
Fleuri, je trouvai mon père et La Surie tendant les mains au feu
flambant – car le froid commençait à mordre Paris – et riant, eux
aussi, à gueule bec. La coïncidence me parut belle de cette gaîté-là et de
celle de Madame de Lichtenberg, et je voulus en connaître la cause.
    — Savez-vous, Monsieur mon fils, dit mon père toujours
riant, ce que les députés de la noblesse ont voulu que j’écrive sur le cahier
de doléances à remettre au roi à la fin des états généraux ? Vous n’en
croirez pas vos oreilles !
    — Mais encore ?
    — Ils veulent qu’il soit fait défense aux gens du tiers
état et aussi à leurs femmes et à leurs filles, de porter les mêmes vêtements
que les gentilshommes et les demoiselles [58] , afin
que du premier coup d’œil chacun puisse distinguer la qualité des personnes…
    — Et l’avez-vous écrit, mon père ? dis-je en riant
à mon tour.
    — Sans sourciller !
    — Il faudrait aller plus loin avec ces gens du tiers
état ! dit La Surie, dont le rire en raison de ses origines était un rien
plus vengeur et grinçant que celui de mon père et moi. Il

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