Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
dû dire « troquer », m’amie, tant
la transaction fut longue, dure et dénuée de toute espèce d’humanité entre deux
nations qui avaient tant de raisons de ne se point aimer. Mais à la parfin
l’affaire se fit et la frontière espagnole, cet été, verra Louis accueillir la
petite Anne d’Autriche et l’emmener à Paris, tandis que Madame, franchissant
les Pyrénées, devra prendre le chemin de Madrid avec le prince des Asturies.
    — Pauvre Madame ! dit Madame de Lichtenberg
avec un soupir. Mariée ! Et elle n’a pas treize ans ! Arrachée à sa
famille, déracinée de son pays, et privée de sa langue natale ! Sait-elle
au moins l’espagnol ?
    — On tâche de le lui enseigner depuis deux ans… Mais
elle prend ces leçons-là comme autant de purges… Comme vous savez, n’étant pas
aimée de sa mère, qui la compte pour rien, elle est toute à son frère aîné, et
il est tout à elle…
    — Mon Dieu, dit ma Gräfin, pour ces deux-là,
quel déchirement cela sera ! Plus de touchants petits présents ! Plus
d’œufmeslette royale ! Plus de vers enfantins sur la petite
marcassine !…
    Elle sourit et dans le même temps, je surpris dans ses yeux
des larmes. Son émeuvement m’émut. Je l’adorais d’avoir le cœur si tendre. Je
la pris dans mes bras pour la consoler et ce qu’elle appelait « notre
babillage de derrière les courtines » s’interrompit. Toutefois, nos
tumultes qui à l’accoutumée s’accompagnaient de tant de joie, ne guérirent pas
ce jour-là la mélancolie qui se peignait sur son beau visage. Et quand l’heure
sonna de regagner mon logis, elle dit avec un accent de profonde
tristesse :
    — Quoi ! Déjà ! Vous prenez déjà votre
congé ! Ah, je déteste ces départs ! Ils me sont si cruels !
    Et j’entendis alors qu’à ses larmes au sujet de Madame s’en mêlaient d’autres qui ne concernaient qu’elle-même. En m’oyant parler de
ce voyage à la frontière espagnole, elle s’était tout soudain avisée que je ne
pouvais faillir d’v accompagner le roi et que des semaines, peut-être des mois,
allaient de nouveau nous séparer.
     
    *
    * *
     
    Cette scène se passait deux jours avant le quinze juillet
1615, jour qui fait l’objet dans mon Livre de raison d’une note indignée,
mais prudemment elliptique : « Mise à sac du T. de la B. (ces
initiales désignant le Trésor de la Bastille) à cinq heures de
l’après-midi. »
    Plaise à vous, lecteur, d’observer que cette honteuse
entreprise ne se fit pas la nuit et en catimini, mais en plein jour et avec
pompe, en présence de tout ce que le royaume comptait d’illustre, comme si de
nobles et solennelles apparences pouvaient, aux yeux de l’Histoire, couvrir
l’effraction et le vol. Et chose étrange, il faisait ce jour-là – je dis
bien : ce jour-là, et non la veille, ni le lendemain – une des plus
excessives et des plus étouffantes chaleurs qu’on eût éprouvées à Paris de
mémoire d’homme.
    Du Louvre, pour nous rendre à la Bastille, il nous fallut
traverser quasiment toute la ville. Or, il avait plu la veille, ce qui avait
transformé la croûte qui recouvre les pavés parisiens en boue épaisse et
malodorante. Et bien que le soleil, à cinq heures du soir, ne fût plus à son
brûlant zénith, il avait tant chauffé les murs des maisons et le cloaque
nauséabond des rues, que nous crûmes, au sortir du Louvre, rouler dans une
étuve d’où se seraient échappées des vapeurs pestilentielles. Et à un moment,
en effet, Louis, qui m’avait invité dans son carrosse, eût pâmé, je crois, si
Héroard ne lui avait appliqué sous le nez et sur la bouche un mouchoir imbibé
de vinaigre.
    Précédé par les gardes de Sa Majesté et suivi par une
quarantaine de chariots dont l’utilité ne me parut que trop tristement
évidente, le long cortège de carrosses armoriés franchit sans encombre les deux
cours qui précèdent le pont-levis de la Bastille et, celui-ci se levant avec
une lenteur majestueuse, pénétra dans la cour principale.
    C’était la première fois que je mettais le pied dans cette
redoutable forteresse et je ne l’y mis point sans une appréhension secrète,
tant une fois qu’on y était serré, il était difficile d’en sortir. Témoin, le
comte d’Auvergne, qu’on y avait enfermé en 1604 et qui, en 1615, s’y trouvait
toujours [62] .
    La reine émergea la première de son carrosse, superbement
parée et emperlée, le visage rouge,

Weitere Kostenlose Bücher