L'Enfant-Roi
même laissé dire qu’il lui avait un jour proposé une
sorte de bargouin : il baillerait un évêché à l’abbé, et l’abbé cesserait
de le tracasser avec ses déclinaisons latines. Cette proposition fut faite en
manière de badinerie, mais l’abbé de Fleurance la repoussa avec le dernier
sérieux.
Les choses étant ainsi, il arriva quelque chose de fort
surprenant. J’en ai noté la date dans mes tablettes, tant le fait m’a laissé
béant. Le vingt-quatre septembre, trois jours après le partement de Madame, Louis
envoya Berlinghen quérir Monsieur de Fleurance pour étudier. Monsieur de Souvré
était absent, quand Louis fit cette démarche, et quand je la lui rapportai, il
n’en crut pas ses oreilles. « Eh quoi ? dit-il en ouvrant de grands
yeux, il l’a fait ! Il l’a fait de son propre mouvement ? »
Quinze jours plus tard, le dix octobre, Louis, de nouveau,
pria Monsieur de Fleurance de lui donner une leçon. J’entends bien que ce
recours à l’étude, comme le retour à ses jeux enfantins, constituait pour Louis
une sorte de refuge dans lequel son désarroi le portait à se rencogner.
Néanmoins, j’en fus content, opinant qu’il valait mieux apprendre, fût-ce des
conjugaisons latines, que prendre des mouches au trébuchet. Par malheur, le
pauvre abbé de Fleurance n’était point le maître qu’il eût fallu pour maintenir
ce beau zèle en enseignant à son disciple un savoir qui eût répondu à son
attente en le formant à son métier de roi. L’aurait-il fait, de reste, qu’on
l’eût incontinent renvoyé à sa cure.
*
* *
Entre le partement de Madame et l’arrivée à Bordeaux
de l’infante Anne d’Autriche s’écoula un bon mois, lequel ne me parut pas fort
bon, mais long et lourd, pour ce que j’étais bien désolé de voir Louis si mal
allant et si mélancolique, et quant à moi, tombant plus souvent que je n’eusse
aimé dans un grand pensement de Madame de Lichtenberg, qui me faisait grand
mal.
Tout ce qui comptait à la Cour ayant suivi le roi à
Bordeaux, y compris d’aucuns ambassadeurs des pays étrangers, je ne fus pas
autrement surpris quand le vieil ami de mon père, le révérend abbé et docteur
médecin Fogacer, secrétaire particulier du cardinal Du Perron, me dépêcha un
petit vas-y-dire pour m’inviter, ainsi que le chevalier de La Surie, à dîner
sur le bord de la Garonne en une auberge où on nous servit dans une salle à
part, et fort bien.
Grand, mince, les membres arachnéens, le sourcil noir haut
levé sur un œil noisette, le nez en bec d’aigle, les lèvres charnues, le
sourire long et sinueux, Fogacer n’eût pu, de toute manière, passer inaperçu
par monts et vaux, et c’était pitié, car, en ses folles avoines, les
imprudences de son athéisme et les errances de sa sodomie le mirent à la fuite
plus d’une fois et l’eussent même, en une occasion au moins, conduit droit au
bûcher, si mon père, dont il avait été le condisciple en l’École de médecine de
Montpellier, ne l’avait retiré quelque temps dans sa maison des champs.
Avec l’âge, Fogacer courant moins vite, acquit plus de
circonspection. Et cherchant en ses incessants périls une protection, il était
devenu le médecin particulier du cardinal Du Perron, puis son secrétaire, puis
achevant de s’ococouler dans le giron de l’Église catholique, il finit par se
faire prêtre. Dès lors, la soutane lui colla à la peau jusqu’à devenir sa peau
même et il cessa de décroire en Dieu. Quant à la bougrerie, il n’est pas sûr
qu’il y renonça du même coup, mais les épaisseurs de secret et de silence qu’il
entassa sur ses douces habitudes firent qu’on cessa de s’en alarmer, surtout
quand, devenu grison et le cheveu plus sel que poivre, il ne se montra plus en
public avec de petits clercs bouclés dont la piété ne semblait pas être la première
vertu.
Pour moi, en mes jeunes ans, Fogacer me gênait prou par la
vorace insistance qu’il mettait à me dévisager, à célébrer ma bonne mine et à
m’appeler son « mignon », expression qui avait, dans sa bouche, un
tout autre son qu’en celle de la duchesse de Guise. Par bonheur, quand le poil
me vint dru au menton, d’un seul coup ses attentions cessèrent, Fogacer étant
de ces sortes de gens qui n’aiment dans l’homme que l’imberbe et l’impubère.
Ce fut donc sans mésaise aucune que j’accueillis ce dîner avec
Fogacer, toutefois étonné assez qu’il désirât
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