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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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disant d’un air gourmé : « Allons, allons, princesse
d’Espagne ! » D’ailleurs, il ne le disait pas, il le
hennissait !
    — Madame !
    — Je le jure ! Il le hennissait ! Et ce
faisant, il caressait son long chanfrein de sa main osseuse : « Allons,
allons, princesse d’Espagne ! » disait-il. Vous remarquerez, mon beau
filleul, le titre qu’il lui donnait ! Et comme il nous faisait sentir
qu’elle était à eux !
    — Hélas, Madame, elle est à eux véritablement, et pour
toujours, ayant marié le prince des Asturies.
    — Mais il n’était nul besoin de nous le faire tant
sentir ! Bref, Don Ynligo réussit à arracher ces pauvrets l’un à l’autre
et à faire monter Madame dans son propre carrosse. Ah, mon beau filleul,
le regard ! Le dernier regard qu’elle lança à son frère par la portière
quand le carrosse s’ébranla !
    — Et Louis ?
    — Louis pleurait, les deux mains sur son visage, sourd
à tout ce que nous pouvions lui dire. Et d’ailleurs, nos consolations à nous-mêmes
nous paraissaient vides et creuses devant un tel chagrin. Dès qu’on eut regagné
Bordeaux, il se fit conduire chez la reine sa mère.
    — Chez sa mère ! dis-je. Mais c’était la dernière
personne au monde…
    Madame de Guise sourcillant à ce début de phrase, je
m’interrompis.
    — Et pourquoi diantre, repris-je, n’était-elle pas avec
lui pour faire, elle aussi, ses derniers adieux à sa fille ?
    — Elle s’en est expliquée : elle lui avait fait
ses adieux la veille. Et elle n’eût pas voulu, en les renouvelant, raviver la
douleur de la séparation.
    — Quelle douleur ? dis-je en dérision. Celle de sa
fille ? Ou la sienne ?
    — Monsieur, dit Madame de Guise, si vous insinuez par
là quoi que ce soit de disconvenable à l’endroit de la reine, je vous quitte la
place.
    — Mais, Madame, je n’insinue rien du tout.
    — C’est heureux ! De reste, reprit-elle à voix
basse, vous avez raison… Louis fut avec la reine deux heures, pleurant toutes
les larmes de son corps, et à part quelques objurgations morales dont je
m’apense que ce n’était pas la place, elle ne lui bailla pas même un baiser.
    Je peux ici, belle lectrice, prendre le relais de ma
marraine, car à l’instant où se déroulaient ces adieux déchirants, j’étais à
l’évêché de Bordeaux – où Louis était logé –, en compagnie de Monsieur
de Souvré, de son fils, Monsieur de Courtenvaux, premier gentilhomme de la
Chambre, Monsieur de Thermes, Monsieur de Luynes et Héroard, tous les six
silencieux, et Héroard, envisageant sa montre avec quelque anxiété, car l’heure
du dîner était passée depuis longtemps et Louis, ayant refusé de déjeuner,
n’avait rien mangé ni bu depuis la veille.
    Il apparut enfin sur le coup de dix heures et demie, les
yeux rouges, le visage tout chaffourré de larmes. Il s’assit devant son
assiette sans mot piper, et dîna peu et mal, disant à Héroard :
« J’ai mal à la tête. C’est sans doute d’avoir tant pleuré. » Après
le dîner, il tâcha de se distraire en dessinant à la plume de petits bonshommes
sur des cartes à jouer. J’en fus frappé, car il y avait beau temps qu’il avait
abandonné ce divertissement, le trouvant indigne de son âge. Pis même, quelques
jours plus tard, je le vis s’amuser avec ses petits soldats et prendre des
mouches à l’aide d’un trébuchet. J’en conclus que sous le coup de son deuil, il
cherchait une consolation dans un retour à ses jeux enfantins.
    Dans le même temps sa santé vacillait, et je voyais
qu’Héroard se faisait un souci à ses ongles ronger, Louis disant dès son lever
qu’il n’avait pas faim et qu’il ne voulait pas déjeuner. Au dîner et au souper,
il mangeait, mais fort peu. Huit jours après le parlement de Madame, il
se plaignait encore de son mal de tête, puis d’une douleur à l’aine. D’après
Héroard, qui l’examina, l’aine était enflée.
    Peu après, des boutons apparurent sur son rein gauche,
lesquels il gratta et écorcha, tant est qu’Héroard y mit un emplâtre. Et à
peine ces rougeurs eurent-elles disparu qu’il prit un vilain rhume, avec
frissons, cerveau fort plein et nez empêché.
    Il avait été tacitement convenu qu’il n’étudierait pas
pendant la durée de son voyage en Guyenne, ce qui lui agréait fort, car il
avait horreur de ces interminables ânonnements auxquels le soumettait l’abbé de
Fleurance. Je m’étais

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