L'Enfant-Roi
éternels.
— Le Ciel vous entende !
— Ajouterai-je, poursuivit Fogacer, que je ne nomme
jamais mes sources et que vous serez dans mon propos, mon ami, un gentilhomme
proche du roi. Je vous vois balancer… Avez-vous songé que lorsque je vous aurai
appris ce que je sais, vous pourrez ne pas me déclore ce que vous savez et
qu’ainsi tout l’avantage, dès le départ, est pour vous ?
— C’est bien ce que je ruminais en mon for, dis-je avec
un sourire. Cependant, si je puis vous faire une réponse fidèle à la vérité
sans desservir le roi, je le ferai.
— Eh quoi ! s’écria Fogacer en faisant mine d’être
indigné, est-ce à dire que vous pourriez me mentir ?
— Et pourquoi non ?
— Il me semble, dit Fogacer en riant, que votre
avantage sur moi croît démesurément. Fort bien donc, j’en accepte le risque.
Sommes-nous d’accord ?
— Oui-da, dans les limites que nous venons de dire. Mon
révérend abbé, quels sont donc ces gens dont vous parlez et quelle question se
posent-ils ?
— Ouvrez tout grands les yeux et les oreilles, mon
fils, et déployez vos ailes, si vous en avez : vous allez tomber des nues.
Il s’agit du nonce du pape Bentivoglio, du duc de Monteleone, ambassadeur du
roi d’Espagne [68] , et du père Cotton.
— Le pape ! Le roi d’Espagne ! Et l’ordre des
Jésuites !
— À tout le moins, leurs représentants, lesquels ont
conféré à Bordeaux. J’étais-là – à une fort humble place, à côté de ces
gens immenses – mais j’étais toutefois mandaté par le cardinal Du Perron.
— Et que se sont-ils dit ?
— Vous n’allez pas me croire : ils se sont
inquiétés du guillery royal.
Je demeurai béant, l’œil écarquillé, partagé entre le rire
et l’incrédulité.
— Qu’est-ce donc que cette turlupinade ?
m’écriai-je enfin. Mon ami, vous vous gaussez !
— Point du tout. Vous vous ramentevez sans doute, mon
jeune ami, que dans sa première enfance, sous l’influence d’un père dévergogné
qui ne comptait plus ses bâtards et les élevait pêle-mêle avec ses enfants
légitimes à Saint-Germain-en-Laye, le petit dauphin baignait dans un milieu
excessivement déréglé. Les paroles étaient libres. Les gestes, crus. Le petit
dauphin exhibait son guillery à tout venant, se jouait à lui en public, le
faisait baiser à ses proches, le comparait à celui de son père, troussait et
attouchait ses petites compagnes de jeu, tombait même amoureux à six ans d’une
fille d’honneur de la reine, laquelle était fort gênée quand, en public, il lui
caressait les tétins [69] .
— Bien je m’en ramentois, dis-je. C’était Mademoiselle
de Fonlebon, dont j’étais moi-même à demi amoureux.
— Eh bien ! Vous n’ignorez pas non plus, mon ami,
qu’à la mort du roi, cette liberté païenne, pour ne pas dire cette licence,
cessa sous l’influence conjuguée de la reine-mère et du père Cotton. On
craignait sans doute que Louis ressemblât trop à son père, qu’il s’éprît, jeune
encore, d’une dame de la Cour et que, devenant homme trop vite, il n’arrachât à
sa mère avant terme le pouvoir. Le petit roi fut alors exhorté, sermonné,
catéchisé, et par le père Cotton confessé à longueur d’horloge. Il dut
apprendre par cœur des questions et des réponses de ce genre : « Question : Quels sont nos ennemis ? Réponse : le monde, Satan et la
chair. » Et la chair, bien sûr, c’était le cotillon.
— Mon révérend abbé, dis-je avec un sourire, dites donc
« la femme », si ce mot ne vous doit pas écorcher la langue.
— Je le dis. Et vous-même, mon fils, poursuivit-il
prudemment, que pensez-vous de cette entreprise de redressement du jeune
roi ?
— Qu’on tomba funestement d’un excès dans un autre et
que d’un prince naïvement impudique on fit un prince pudibond à l’extrême et
possédé par la peur des femmes.
— Ne serait-ce pas, dit le chevalier de La Surie, que
la reine, pour se venger des infidélités du père, s’efforça de châtrer le
fils ?
Je secouai la tête.
— Je n’aimerais pas dire cela d’un petit roi qui montre
en tout tant de courage, mais il n’est que trop vrai qu’à part Madame, pour
qui il garde une enfantine amour, Louis montre quelque distance à l’égard du
beau sexe. Et il n’est que trop vrai aussi que les rapports qu’il a avec sa
mère ne lui ont pas rendu la femme très attrayante.
— Et c’est tout justement
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