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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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si vivement me voir en Bordeaux,
alors qu’il en avait tant d’occasions à Paris. Je fus quelque temps avant
d’être éclairé sur ses intentions, car l’homme que j’avais connu si sobre en
mes enfances, gloutissait à s’teure comme quatre, n’ayant d’œil que pour ses
viandes et ses vins.
    — Mon ami, dit-il quand il fut enfin repu, je vous vois
l’œil interrogatif depuis le début de ce merveilleux dîner, auquel vous avez si
peu touché vous-même, chipotant un morceau qui-cy qui-là et vous demandant ce
que je vous voulais. Rien n’est plus simple. Mon ami, je vous parlerai, j’ose
le dire, à la franche marguerite : je voudrais savoir qui est Luynes, d’où
il vient, ce qu’il veut et où il va.
    — D’où il vient ? dis-je. Cela est clair. Le père
de Luynes est né des amours de maître Ségur, chanoine de l’église cathédrale de
Marseille, avec une chambrière nommée D’Albert. Il s’appela du nom de sa mère,
« D’Albert », mais aussi « De Luynes », du nom de la
rivière au bord de laquelle le peu chaste chanoine possédait une petite maison
où il caressait sa mignote. Luynes donc, pour le nommer par le nom qu’il se
donna, était beau et vaillant ; il se fit soldat, avança dans la vie et
obtint enfin le gouvernement de Pont-Saint-Esprit. Il épousa alors une
demoiselle de Saint-Paulet, fille de bonne noblesse, et acquit par sa dot une
petite métairie nommée Brante et une petite île sur le Rhône nommée Cadenet. Il
eut trois fils. Le premier, il nomma Luynes, comme lui-même : c’est notre
homme. Le second, il nomma Brantes et le troisième, Cadenet. Comme vous voyez,
ces gens de nos provinces occitanes ont beaucoup d’imagination. Une rivière,
une métairie, une petite île sur le Rhône : et les voilà affublés de noms
sonores, et nobles par surcroît.
    — Mon ami, dit Fogacer, nous savons cela.
    — Mais savez-vous pourquoi le père de Luynes dut
quitter son gouvernement de Pont-Saint-Esprit ?
    — Nenni.
    — Je vais donc vous l’apprendre, mon révérend abbé.
L’épouse de notre gouverneur de Pont-Saint-Esprit – née demoiselle de
Saint-Paulet, je vous le rementois – envoyant un jour chercher provende
chez son boucher, celui-ci, qui avait fort à se plaindre de n’être point payé,
lui fit répondre qu’il n’avait plus qu’une seule viande à son service, mais de
celle-là, il voulait garder la propriété, ne lui en concédant que l’usage…
    — C’était là gausserie ignoble, dit Fogacer.
    — Et la dame, étant noble, s’en trouva fort offensée.
Sans tant languir, elle courut sus au manant et le tua en pleine boucherie de quatre
ou cinq coups de poignard.
    — Juste ciel !
    — Vous observerez, mon révérend abbé, qu’ayant des
parents aussi vaillants, notre présent Luynes ne l’est guère lui-même, évitant
toute querelle et, quand il est cité en duel, demandant à ses frères, Brantes ou
Cadenet, de se battre à sa place.
    — Nous savons cela.
    — Eh bien ! dis-je en levant les sourcils, que
voulez-vous savoir de plus ? Les trois frères furent en l’emploi de
Monsieur du Lude, qui les donna à Monsieur de la Varenne, qui les donna à notre
défunt roi, qui les donna à Louis, lequel aime beaucoup l’aîné, parce qu’il est
son oiseleur et dresse à merveille ses faucons.
    — C’est justement, dit Fogacer avec un petit brillement
de l’œil, c’est justement sur cette grande amitié que le roi porte à Luynes que
nous aimerions en savoir plus.
    Là-dessus, je laissai tomber un froidureux silence et
regardant Fogacer œil à œil et haussant le bec, je lui dis avec raideur :
    — Mon révérend abbé, je ne fais pas de contes hors du
Louvre sur le roi.
    — J’attendais ce refus abrupt, dit Fogacer avec un
sourire, n’étant pas sans connaître votre absolu dévouement pour le petit roi.
Considérez, cependant, mon fils, qu’une réponse, en l’occurrence, le pourrait
mieux servir qu’un refus de répondre.
    — Comment cela ?
    — Par exemple, si je vous nommais les gens qui se
posent la question et les raisons qu’ils ont de se la poser, ne pensez-vous pas
que ce savoir pourrait être utile à celui que vous servez ?
    — Sont-ce des gens puissants ?
    — Hors la reine-mère, en ce royaume, il n’en est pas de
plus puissants.
    — Quoi ? Pas même les ministres ?
    — Les ministres passeront.
    — Pas même les marquis d’Ancre ?
    — Ceux-là non plus ne sont pas

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