L'Enfant-Roi
puissante escorte, mais
seule, le reste du voyage jusqu’à la frontière. Père plus tendre,
Philippe III d’Espagne, passant outre aux recommandations de son Conseil,
voulut à force forcée accompagner Anne d’Autriche jusqu’à la Bidassoa et se
sépara d’elle dans les termes les plus touchants : « Mi hija, io
te ho casada in Cristianidad lo mejor que ho podido. Va que Dios te
bendiga ! [67] »
Belle lectrice, plaise à vous à s’teure de revenir avec moi
quelques jours en arrière. Madame devait quitter Bordeaux le vingt et un
octobre. La veille, Louis la vint visiter chez Monsieur de Beaumont Menardeau,
conseiller d’État, en la maison de qui elle était logée. Ce fut le premier des
adieux qu’il lui fit, et quand il saillit de ses appartements, ses yeux
brillaient de larmes. Un de ses officiers. Monsieur de la Curée – le même
qui avait servi à cheval le repas des goinfres de la Cour –, crut bon de
lui dire : « Sire, un grand roi ne devrait pas être si
sensible. » Louis, sans s’offenser de cette sotte remarque, répondit tout
uniment, mais avec un grand soupir : « C’est une si bonne sœur. Il
faut bien que je la pleure. »
Le lendemain, à son lever, auquel je fus présent, Louis
avait l’air triste et comme absent. Il refusa de déjeuner, disant qu’il ne
pouvait rien avaler et se laissa habiller sans mot piper, puis après avoir
assisté à la messe aux Récollets, il gagna la maison de Monsieur de Beaumont
Menardeau, où l’on achevait d’habiller Madame au milieu d’une douzaine
de dames qui tâchaient de la réconforter.
Il y avait là ma bonne marraine la duchesse de Guise, la
princesse de Conti, la jeune duchesse de Guise, Mademoiselle de Vendôme et
Madame de Montmorency. Quand le roi apparut, Madame se jeta dans ses
bras en pleurant, secouée de sanglots et aussi désespérée que si on la menait
au supplice. Cela allait jusqu’aux cris. Louis, pleurant aussi à chaudes
larmes, la tenait étroitement embrassée et tâchait de la consoler. Mais il
était lui-même trop ému et trop bégayant pour aligner trois mots.
Le reste, Madame de Guise me le conta, car avec celles que
j’ai nommées, elle fut la seule à en être témoin. Il avait été convenu que les
dames et Louis accompagneraient Madame jusqu’à une demi-lieue hors la
ville, et que là, après d’ultimes adieux, on la laisserait aller seule. Seule,
c’était une façon de dire, car elle devait regagner la frontière sous la
protection de l’armée de son frère et avec une suite d’une trentaine de dames
françaises qui seraient appelées à vivre avec elle en Espagne.
— Nous voilà donc parties, me dit Madame de Guise le
soir, à sa manière vive et pétulante, mais encore fort émue. Nous étions
entassés dans ce carrosse, le roi et Madame devant, et les cinq dames,
moi comprise, derrière, serrées à mourir. Et dans notre sillage, seul et
majestueux, dans un carrosse à ses armes, l’ambassadeur d’Espagne ! Mais
vous connaissez Don Ynligo ! Ne trouvez-vous pas qu’il a l’air d’un cheval ?
— D’un cheval, Madame ?
— Sauf qu’un cheval a le regard doux et tendre et que
Don Ynligo a l’œil dur et plein de morgue. Mais il a une longue face où l’on ne
voit qu’un nez fort long qu’il caresse en parlant de la façon la plus obscène.
De reste, ce n’est pas un nez, c’est le chanfrein d’un cheval.
— Madame, vous vous gaussez, je pense !
— Que nenni ! Et je n’avais pas le cœur à rire, je
vous assure ! Vierge Marie ! Ces deux enfants devant nous me
déchiraient le cœur ! Ils se tenaient enlacés, et tant qu’on traversa la
ville, ils continrent leurs sanglots. Mais la Porte Saint-Julien franchie, on
s’arrêta, comme il était convenu, à une demi-lieue de là, on mit pied à terre,
et c’est là que leur désespoir éclata. Ils se tenaient l’un et l’autre
embrassés, s’accolant, se baisant la face, pleurant, hoquetant d’interminables
sanglots et poussant cris et soupirs à attendrir un tigre ! Je puis vous
assurer qu’aucune de nous cinq n’avait les yeux secs, au risque de gâcher notre
pimplochement ; même la princesse de Conti dont vous connaissez la
coquetterie, y alla de sa larme, tant ce spectacle lui tordait le cœur. Quant à
Don Ynligo, il regardait cette scène d’un œil froid et impiteux, le torse
redressé, portant sa tête chevaline comme un saint sacrement, et tâchant de rompre
les accolades en
Weitere Kostenlose Bücher