L'Enfant-Roi
ne saurais dire si
elle en a exprimé le vœu, ni si on l’y aurait dans ce cas-là autorisée.
Des quatre premiers gentilshommes de la Chambre, Conchine
fut le seul à ne pas venir prendre des nouvelles du roi pendant son intempérie.
En revanche, quand Sa Majesté fut guérie il fit une apparition, mais dans des
conditions dont l’impudence et l’insolence passent l’imagination.
La scène, qui fut muette, mais n’en fut que plus blessante pour
Louis, se passa le douze novembre, soit le troisième jour de la convalescence
du roi. Il s’était réveillé à minuit et demi, et après avoir « fait ses
affaires », comme dit le pudique Héroard, il demanda et but avec avidité
une pleine écuelle de bouillon ; ce qui confirma Héroard dans l’idée que
son malade se rebiscoulait. Toutefois Louis se passa de déjeuner ; mais
non de dîner, qu’il prit à onze heures et derechef de bon appétit. Comme il
achevait, on lui annonça la visite de Monsieur de Mataret, gouverneur de la
ville et du château de Foix. Louis l’accueillit avec quelque chaleur, car bien
que le comte de Foix eût été rattaché en 1607 à la couronne de France, le seul
nom de Foix évoquait pour lui la Navarre et son père. Monsieur de Mataret, de
son côté, se trouvait fort ému d’être si bien accueilli par le fils de
« notre Henri », comme on l’appelait encore dans le Béarn, et le fut
davantage encore quand Louis, désirant se dégourdir les jambes, l’entraîna dans
la Grande Galerie dont les fenêtres donnaient sur la rivière de Seine. Outre
Monsieur de Mataret, il n’y avait que deux personnes avec le roi :
l’exempt des gardes, et moi-même à qui Louis avait fait signe de le suivre.
Louis s’avança assez avant dans la Grande Galerie et, pour
la commodité de l’entretien, s’arrêta dans l’encoignure d’une fenêtre. Et tout
en prêtant une oreille attentive aux discours que Monsieur de Mataret lui
débitait avec un accent qui lui rappelait celui de son père, son œil s’amusait
à suivre les gabarres qui glissaient sur la rivière de Seine, leurs voiles de
diverses couleurs gonflées par le vent. C’était là un spectacle à la fois
revigorant par son animation et apaisant par son silence, et je sentis combien
il devait faire plaisir à un convalescent qui renaissait à la vie.
Cette tranquillité fut toutefois rompue par le jeune
Berlinghen qui vint dire à Sa Majesté que le maréchal d’Ancre venait d’envoyer
un gentilhomme dans les appartements du roi pour demander où il se trouvait. À
quoi on lui avait répondu qu’il se promenait dans la Grande Galerie avec
Monsieur de Mataret et Monsieur de Siorac. Cette annonce fit peu d’effet sur le
roi. Il pensait sans doute que Conchine tâchait par cette tardive visite de
rattraper la discourtoisie de son silence et de son absence pendant sa maladie.
Berlinghen s’en alla, frétillant comme un jeune chien qui
vient de se rendre utile, et Monsieur de Mataret reprit son discours, lequel
traitait du château de Foix, qu’il ne pouvait réparer faute de pécunes. Par
malheur, il n’eut pas le temps de développer ce point, qui lui tenait fort à
cœur et expliquait sans doute sa venue à Paris. Car un grand brouhaha se fit
entendre au bout de la galerie, et on vit tout soudain apparaître une foule de
gentilshommes, lesquels, tête nue, précédaient, entouraient et suivaient un
personnage dont au milieu de cette cohue on ne distinguait que le chapeau, bien
reconnaissable toutefois aux orgueilleuses plumes d’autruche et de paon qui
l’ornaient et dont toute la Cour avait parlé, parce que chacune d’elles avait
coûté deux cents écus.
À cette grande foule et forte noise Monsieur de Mataret
demeura bouche bée, et Louis, se détournant de la fenêtre et des gabarres de la
rivière de Seine, envisagea d’un œil froid ce superbe couvre-chef qui, dans sa
puissance et sa gloire, s’avançait vers lui entouré d’un moutonnement d’échines
courbées et de têtes nues. La rencontre n’était assurément pas égale, car Sa
Majesté n’était accompagnée que d’un exempt des gardes – qui était toute
son armée –, et de Monsieur de Mataret et de moi – qui composions
alors toute sa cour.
Il y avait déjà braverie et insolence dans cette façon de se
présenter à Sa Majesté en son Louvre avec cette forte suite. Nul prince du sang
ne l’eût jamais osé. Du moins était-on en droit de s’attendre que le chapeau
empanaché,
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