L'Enfant-Roi
demandé le
sens à Héroard, il me dit qu’il désignait une médecine « qui nettoie une
plaie et en favorise la cicatrice ». Je rapportai cette définition le même
soir à mon père, qui me dit en levant les bras au ciel : « Plût à
Dieu qu’on n’eût pas tant nettoyé cet intestin-là ! Il eût cicatrisé plus
vite ! »
La crise qui, sur le moment du moins, fit douter que Louis
vécût, eut lieu le trente et un octobre à quatre heures et quart de
l’après-midi, et voici comme on me la conta. À cette heure, Louis qui, depuis
le matin, avait été fort malade, dormait derrière les courtines de son
baldaquin quand un de ses valets de chambre, le jeune Berlinghen – fils de
ce Berlinghen qui avait si bien servi Henri IV – entendit une sorte
de râlement, et pensant que c’était un chien qui ronflait dans la
chambre, alerta son compère, et tous deux cherchant partout et ne trouvant pas
ledit chien, écartèrent les courtines du baldaquin royal. Le roi râlait, la
bouche collée contre son bras. Effrayés, ils coururent chercher Héroard, lequel
leva aussitôt Louis, le mit à terre et tâcha de lui ouvrir la bouche. Mais il
n’y put parvenir avec ses doigts, tant les dents étaient serrées. Il y fallut
le manche d’un couteau. Louis se pâma et dès qu’il fut ranimé avec de
l’eau-de-vie, on lui donna du mouvement en le promenant dans la chambre,
Héroard et Berlinghen l’épaulant de part et d’autre.
Cet accès convulsif ne dura pas plus de huit minutes. Après
quoi, la maladie reprit son cours habituel, sinon normal. Héroard expliqua
cette crise – qui fut unique dans la vie de son royal patient – par
une « mauvaise vapeur des intestins », preuve que les médecins ont
toujours, pour toute intempérie, une explication toute prête, fût-elle verbale,
car on se demande, en effet, d’où cette « mauvaise vapeur » pouvait
bien venir, sinon de la partie du corps dont le malade souffrait. Je me
ramentus à cet égard que notre Henri, pâtissant de la goutte et demandant à son
médecin pourquoi l’opium qu’il lui administrait l’allait ensommeiller, le
savant homme lui répondit sans battre un cil : « Sire, si l’opium
fait dormir, c’est qu’il a une vertu dormitive »…
À notre grande joie, le dix novembre, Louis se rétablit tout
à plein, et ce jour-là, gai et dispos, il se promena deux heures aux Tuileries.
Toutefois, ceux qui l’aimaient ne laissèrent pas de vivre les semaines qui
suivirent dans l’appréhension d’une nouvelle rechute. Par bonheur, nos craintes
furent sans fondement.
Ce qui me donne à penser que le moral joua un rôle de grande
conséquence dans l’apparition et le progrès de cette maladie fut l’agitation et
l’inquiétude extraordinaires que Louis manifesta aussi longtemps qu’il en
pâtit, se levant à toute heure du jour et de la nuit pour s’aller coucher sur
le lit de ses valets de pied, puis se relevant pour s’aller étendre sur celui
de Monsieur de Luynes, et de là, à nouveau levé, retournant à son baldaquin.
Cette ronde incessante d’un lit à l’autre produisait une impression très
pénible sur ceux qui se trouvaient là et qui assistaient, impuissants, à la
détresse quelle trahissait.
Si l’on y inclut la trompeuse convalescence qui précéda la
violente crise du trente et un octobre, l’intempérie du roi se prolongea plus
d’un mois, du deux octobre 1616 au dix novembre. De tout ce temps, la
reine-mère ne visita son fils qu’une seule fois, le jour de la crise. D’après
ce que j’ai ouï dire, elle parut ce jour-là moins inquiète d’une issue fatale
que fort effrayée par les conséquences que cette issue pourrait avoir pour
elle. Car si la succession de Louis par Gaston ne faisait aucun doute, en
revanche, on ne pouvait dire qui pourrait perpétuer Marie dans ses pouvoirs,
car les ducs et pairs avaient presque tous déserté la Cour ; d’aucuns même
se trouvaient en lutte ouverte avec elle. D’autre part, le Parlement qui, en
1610, avait beaucoup outrepassé ses droits en portant Marie de Médicis à la
tête de la régence, n’avait aucune envie – Condé étant en prison et les
princes, presque tous hostiles – de prendre derechef sous son bonnet une
telle décision.
Ma belle lectrice sera sans doute déçue d’apprendre que la
petite Anne d’Autriche ne vint à aucun moment visiter son mari au cours de sa
longue maladie. Mais pour parler à la franche marguerite, je
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