L'Enfant-Roi
de secrets touchant à la couronne de France. Pendant
longtemps, quand j’étais en sa compagnie, je demeurai là-dessus muet comme
carpe ; mais je finis toutefois par m’aviser qu’elle savait beaucoup de
choses – que je ne lui avais pas dites – sur l’état de nos affaires,
et je me permis de lui demander un jour de qui elle les tenait. « Mais de
l’ambassadeur de Venise, dit-elle. C’est un vieil ami de mon père, et quand il
me vient visiter céans, il aime me parler des affaires de France, de prime
parce que c’est son métier de les connaître, et ensuite parce qu’elles lui
tiennent excessivement à cœur, étant grand ami de ce pays. »
Ce fut au cours d’un de nos entretiens de derrière les
courtines qu’elle m’apprit cela et je fus béant, et aussi plein de vergogne,
qu’un étranger sût tant de choses sur la Cour de France, qui n’étaient point
tellement à l’honneur de la reine, qui-cy de la façon dont se faisaient les
choses en ses alentours, qui-là de l’insolente faveur de bas aventuriers, et de
la déréliction dans laquelle mon pauvre roi était volontairement laissé.
— Mon Pierre, me dit-elle tandis que sa tête au milieu
de ses cheveux épars reposait sur mon épaule, de grâce tournez la tête vers moi
et me considérez, car je voudrais vous parler non seulement au bec à bec, mais
œil à œil. Il ne m’a pas échappé que vous étiez fort prudent et reclos avec moi
quand il s’agit des affaires de France, et certes je n’en suis pas offensée, et
tant vous loue au contraire de cette circonspection, que je trouverais naturel
que vous la continuiez. Mais je vous vois depuis huit jours triste, marmiteux,
soupirant, grommelant, vous faisant en silence un souci à vos ongles ronger, et
je me suis apensée qu’à me dire ce qu’il en est, vous allégeriez peut-être
votre pâtiment. Si de votre côté vous le désirez ainsi, est-il utile que je
vous jure que pas un mot de ce que vous pourriez me dire ne sera jamais répété,
ni dans cette vie, ni même, ajouta-t-elle avec un sourire, dans l’autre.
D’ailleurs, dans l’autre, ce serait impossible, puisque nous serons joints et
unis pour l’éternité.
— M’amie, dis-je, ma décision prise aussitôt, car je
connaissais trop bien ma Gräfin, et depuis trop longtemps, pour la
méjuger, les serments, en effet, seraient inutiles : j’ai toute fiance en
vous. Et vous dites vrai aussi. En ces jours, il me soucie excessivement, et
j’ai pour cela bonne raison. Mon pauvre petit roi est fort malade.
— Et depuis quand ?
— Depuis le deux octobre, date à laquelle Concini, de
retour de Caen, fit son entrée dans Paris. Ce même jour, Louis ressentit de
très douloureuses tranchées dans le ventre, suivies de diarrhées et de
vomissements.
— Établissez-vous un lien, mon Pierre, entre ces deux
événements ?
— Oui-da. J’opine qu’il y en a un. Car même lorsque les
tranchées se calment ou disparaissent, par le moyen de linges humides et chauds
qu’on lui applique sur le ventre, Louis demeure triste, abattu et comme dit le
docteur Héroard, « élangouri ».
— Que veut dire ce mot ?
— Languissant. Héroard est natif de Montpellier et
parfois parle d’oc.
— Il me semble qu’on ne peut être que languissant quand
on pâtit d’un flux de ventre. Dure-t-il encore ?
— Oui-da. Depuis des jours, et quasi sans rémission.
— Que fait-on là-contre ?
— Purge et clystère.
— Est-ce là une bonne curation ? Qu’en pense
Monsieur votre père ?
— Il pense qu’elle est mauvaise, puisqu’elle échoue. On
n’a jamais vu, argue-t-il, une diarrhée persistante guérie par des purges et
des clystères.
— L’a-t-il dit à Héroard ?
— Oui, en mon appartement, où je les avais invités tous
deux à dîner pour qu’ils confrontassent leurs vues. Héroard a été ébranlé, mais
non convaincu, clystère et purge étant universellement tenus pour des remèdes
souverains en toute circonstance. Peut-être ignorez-vous, m’amie, que lorsque
Jacques Clément donna un coup de couteau dans le ventre d’Henri III, le
premier soin des médecins fut d’administrer à leur royal patient un clystère,
qui eut pour résultat de multiplier ses douleurs et d’amener rapidement sa
mort.
— Je croyais que Monsieur votre père était un des
médecins d’Henri III ?
— Il ne l’était plus alors. Il comptait au nombre des
agents de sa diplomatie
Weitere Kostenlose Bücher