L'Enfant-Roi
avait
donné quatre cent cinquante mille livres… Pour le coup, sortant de son mutisme,
Louis s’en était plaint à haute et intelligible voix.
Chose étonnante pourtant, quand au cours de sa convalescence
à Saint-Germain-en-Laye, Louis conçut l’idée de créer et de présenter un grand
ballet de son cru à la Cour, la reine accepta d’en assurer les frais et lui
prêta même pour composer le livret de son poète ordinaire, Étienne Durand. Il
se peut qu’elle ait été vergognée de la plainte que Louis avait faite de sa
chicheté à son endroit, la Cour en ayant beaucoup parlé. Il se peut aussi que la
Conchine lui ait soufflé au creux de l’oreille que tant que Louis serait occupé
à monter cette grande affaire, il ne penserait pas au gouvernement du royaume.
De reste, en vraie Médicis, Marie était raffolée des ballets, des bals, des
fêtes et des magnificences, et pour satisfaire ce penchant, elle était prête
une fois de plus à semer l’or à tout vent, y compris par le ménagement d’un
fils que pourtant elle aimait si peu.
Le poète Durand, fort expert en ce genre d’entreprises,
proposa au roi un grand nombre de sujets, et sans la moindre hésitation Louis
choisit La Délivrance de Renaud, épisode tiré du célèbre poème épique du
Tasse : Jérusalem Délivrée. Cette histoire de Renaud, imitée
d’Homère, donne une version chrétienne des démêlés d’Ulysse et de ses compagnons
avec la magicienne Circé. Voici comment le Tasse imagine l’affaire : Sans
Renaud, le plus vaillant chevalier de la première croisade, Jérusalem ne
saurait être retirée des mains de l’infidèle. Or, sur le chemin, Renaud tombe
dans les rets de la belle Armide qui, par ses artifices, le retient prisonnier
dans un jardin enchanté où il s’abandonne avec elle à la volupté et à la
paresse. Renaud, toutefois, réussit à prendre conscience de cette dégradation,
on verra comment, et après s’être délivré de l’emprise de l’enchanteresse,
reprend la tête de la croisade.
Quand je sus que Louis avait choisi ce sujet, je pensai de
prime que c’était en souvenir de son père, lequel en 1610 donna lui-même sur le
même thème un ballet en l’honneur du mariage de son fils bâtard le duc de
Vendôme avec Mademoiselle de Mercœur. Louis avait alors huit ans et demi, et si
bien je me ramentois, il assista à ce ballet et en fut ravi, étant énamouré de
danse et de musique. Toutefois, il m’apparut vite, quand commencèrent les répétitions
du ballet de Renaud tel qu’à quinze ans Louis le concevait, que les intentions
politiques n’étaient pas absentes de son esprit, pas plus d’ailleurs qu’elles
n’avaient manqué au Ballet de Madame, que Marie de Médicis avait fait
donner peu avant le partement d’Élisabeth pour l’Espagne, et qui exaltait les
éclatants succès de sa régence, dont le plus haut fait, selon ses vues, avait
été le double mariage espagnol.
Louis commença à répéter son ballet le vingt novembre 1616 à
Saint-Germain-en-Laye et le représenta le vingt-neuf janvier 1617, dans la
salle de Bourbon à Paris. Louis choisit comme danseurs ceux de son entourage
qu’il aimait : le chevalier de Vendôme, Montpouillan, La Roche-Guyon,
Liancourt, Courtenvaux, d’Humières, et Brantes (un des deux frères de Luynes).
Déagéant fut fort surpris de voir parmi ces danseurs Monsieur de Blainville,
l’archi-espion – et plus encore de ne point m’y voir. Pour moi, la chose
est simple, je suis bon danseur de bal, mais non de ballet, où je n’ai nulle
expérience, et je dus décliner l’honneur que me fit Louis, lequel toutefois me
voulut bien employer comme conseiller, ce qui me permit, pendant plus de deux
mois, d’assister aux répétitions. Pour Monsieur de Blainville, il se peut que
la reine-mère, qui voulait avoir une oreille dans cette entreprise, l’imposât à
son fils. Mais il se peut aussi que Louis le choisît de soi, pour ne point
qu’il sût que sa trahison avait été démasquée.
Louis, qui était excellent danseur de ballet, ne désira pas
prendre pour lui le rôle de Renaud. Peut-être parce qu’il ne voulait pas, par
souci de sa dignité, s’identifier à un personnage qu’on montrait prisonnier
dans les toiles d’une enchanteresse et par là quelque peu dégradé. Mais il joua
dans la première scène celui du « démon du feu », et dans la dernière
scène, celui de Godefroy, « chef des armées » – commandement qui
dans
Weitere Kostenlose Bücher