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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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c’est là toute l’affaire. En outre, elle effraye fort nos beaux
galants de cour.
    — Pourquoi ?
    — Parce qu’elle ne tue pas : elle estropie.
    — Et cela les épouvante ?
    — Furieusement ! Nos beaux muguets, Madame, n’ont
pas le poil bas : ils se soucient de mourir comme d’une nèfle. Mais perdre
une jambe ! Courir après les belles à cloche-pied !
    — On vous laissa donc en paix ?
    — Pas tout à fait. La cabale me lança quelques traits, point
assez acérés pour que je me dusse de les relever par l’épée, mais assez
méchants pour me piquer. Bref, on me dauba, mais étant bien fendu de gueule, je
contredaubai les gausseurs et on n’en parla plus.
    — Et quel accueil vous fit le petit roi ?
    — J’y viens, Madame, dès lors que je me suis rafraîchi
le cœur par ce petit bec à bec avec vous.
     
    *
    * *
     
    La scène se passa par une matinée grise et froide de
novembre le lundi vingt-deux, si bien je me ramentois. Il y avait cinq mois,
cinq longs mois que je n’avais pu approcher Louis et la dernière fois que
j’avais eu ce bonheur, il m’avait fait la grâce de me prendre avec lui dans son
carrosse en compagnie de Monsieur de Souvré et d’Héroard pour admirer les arcs
de triomphe en bois, garnis de fleurs et de feuillages que l’on dressait un peu
partout en Paris pour l’entrée triomphale de la reine après son sacre.
Promenade qui commença dans la plus insouciante joie et qui fut si funestement
interrompue par la nouvelle qu’Henri IV venait d’être assassiné rue de la Ferronnerie.
    Mon cœur battait quand le grand chambellan de France, lent
et pompeux comme à son ordinaire, m’introduisit dans les appartements royaux.
Par malheur, il ne put me présenter aussitôt au roi, comme le protocole le
voulait, afin de m’introniser, pour ainsi parler, dans ma charge : Louis
était à sa leçon de latin et si attentif qu’il ne tourna pas la tête à mon
entrant.
    Il y avait là beaucoup plus de monde que je ne m’y serais
attendu. Monsieur de Souvré, le gouverneur de Louis qui avait sur lui la
« puissance du fouet », Monsieur de Préaux, le sous-gouverneur,
Doundoun, son ancienne nourrice, Messieurs de Blainville, Praslin, Vitry, ses
capitaines aux gardes, le grand écuyer Monsieur de Bellegarde, le docteur
Héroard et Monsieur d’Auzeray, un des premiers valets de chambre. Tous debout
et tous fort silencieux, soit qu’ils n’eussent rien à dire, soit qu’ils
craignissent d’être rappelés à l’ordre par Monsieur de Souvré.
    — Sire, dit le précepteur à Louis, vous
ressouvenez-vous de ces deux vers que je vous ai appris il y a deux
semaines ?
     
    Caesaros fateor titulos habet Austria multos.
    At Caesar
verus Carolus unus erat.
     
    — Oui, Monsieur, dit Louis.
    — Sire, voulez-vous bien les traduire ?
    — « Je confesse que l’Autriche compte beaucoup
d’empereurs qu’on appela César, mais le seul vrai César fut Charles
Quint. »
    — C’est fort bien, Sire. Voulez-vous de présent répéter
ces deux vers en latin ?
    — Monsieur, je ne les veux point dire tout à fait comme
cela.
    — Eh bien, Sire, dites-les à votre guise.
    —  Caesaros fateor titulos habet
Austria multos, at Caesar verus Henricus unus erat [16] .
    Louis n’avait changé qu’un mot, mais ce mot changeait
tout : le seul vrai César n’était plus Charles Quint (Carolus), mais
Henri (Henricus).
    Un silence bien plus lourd que l’absence de paroles qui
l’avait précédé tomba dans la pièce. Qui pouvait blâmer le petit roi de
préférer son père au plus haut des Habsbourg ? Mais d’un autre côté, qui
pouvait oublier que sa mère descendait des Habsbourg, étant précisément la
petite-nièce de Charles Quint ? Et qu’elle voulait marier Louis, son fils
aîné, à une Habsbourg d’Espagne ? Et comment ne pas soupçonner – dans
l’atmosphère de soupçons qui entourait Louis – que son choix n’était pas
dû qu’à son attachement à la mémoire de son père ?
    Le plus discrètement que je pus, je laissai glisser mon
regard sur les visages à l’entour. Ils étaient de marbre. Vous eussiez dit
qu’aucun des présents ne savait assez de latin pour discerner la différence
entre Carolus et Henricus, ni assez d’Histoire pour savoir quels
grands princes ces deux noms désignaient. Je m’attardai davantage sur la
physionomie d’Héroard et, à ma grande surprise, je la trouvai point tant
impassible qu’inquiète. Ce

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