L'Enfant-Roi
à tirer les
ficelles. Mais l’entreprise tenait tant à mon cœur que je me sentais fort
désolé d’avoir à y mêler un bargouin avec ce sinistre couple qui mettait la
France au pillage.
*
* *
Mon père, passant par Soissons et Villers-Cotterêts, fit
faire un fort grand détour à notre carrosse pour regagner Paris, ne voulant pas
se trouver pris dans l’inouï encombrement des équipages sur le chemin du
retour, tant la Cour était pressée de regagner notre belle et puante Paris,
sans laquelle elle se sentait à la longue aussi mal à l’aise que poisson hors
de l’eau. Mais comme elle suivait la reine et que celle-ci aimait prendre et
perdre son temps aux étapes, la Cour ne parvint néanmoins en la capitale que
deux grands jours après nous.
À la différence des nobles Parisiens, mon père traitait son
domestique comme son propre père en usait avec le sien en sa châtellenie du
Périgord. On ne le payait pas plus cher que d’autres, mais il faisait partie de
la famille et le rang de chacun était respecté. Le lendemain de notre retour,
dès que nous fûmes rebiscoulés des fatigues du voyage, mon père réunit après le
déjeuner nos gens et leur fit un récit du sacre, à peu de choses près comme je
viens de le faire en ces pages, insistant prou sur les gentillesses et les
fermetés de notre petit roi et peu sur les fastes de la cérémonie et les
grimaces des Grands.
Il m’avait demandé, tant que nous serions en chemin, de
surseoir à débattre sur la charge du marquis de Saint-Régis et sur le retour de
Madame de Lichtenberg en France. Mais dès que nous eûmes pris ensemble notre
déjeuner, il se retira avec La Surie et moi-même dans notre librairie et me
demanda de lui faire, sans rien omettre, le récit de mes entretiens de Reims
avec Madame de Guise et Bassompierre.
Quand j’eus fini, et personne n’écoutait mieux que mon père
quand le sujet lui paraissait de grande conséquence (ni plus mal, quand il lui
semblait frivole), il caressa son collier de barbe et sa fine moustache –
celle-ci tirant sur le poivre et celle-là sur le sel – et dit :
— L’occasion d’acheter pour vous cette charge de
gentilhomme de la Chambre paraît si belle que ce serait pitié de la laisser
passer, bien que la somme demandée soit considérable.
— N’est-elle pas excessive ? dit La Surie. Il n’y
a pas un an le duc de Bouillon demandait cinquante mille livres de cette même
charge au roi, qui la voulait acheter pour la bailler à Bassompierre.
— Et le même duc de Bouillon vient de quadrupler le
prix de cette même charge pour la vendre à Concini ! Mais il va sans dire
qu’il n’ignorait pas que l’argent coûte peu à ces gens-là qui ont la main si
commodément proche du Trésor de la Bastille… Toutefois, si l’on tient en
considération que les folles libéralités de la régente ont, en fait, renchéri
les prix de toutes les fonctions royales, celui qui est demandé par le marquis
de Saint-Régis est assez modéré. Le hic serait bien plutôt pour moi de réunir
ces pécunes dans des délais convenables.
— Monsieur mon père, dis-je, bégayant presque en mon
émeuvement, allez-vous véritablement dépenser pour moi cette somme
énorme ? Vos enfants de Montfort-l’Amaury ne seraient-ils pas en droit de
penser que je leur rogne leur légitime part du patrimoine ?
— Nenni, mon fils. Ils sont grands et déjà
pourvus : mon aîné l’a été le premier, mes filles sont mariées et quant à
mes cadets, ils se sont associés dans le négoce maritime, le seul dont
l’exercice, comme vous le savez sans doute, soit permis à la noblesse.
— Toutefois, il y a aussi une exception avec la
soufflerie du verre, ajouta La Surie, non qu’il pensât que mon père l’ignorât,
mais parce qu’il aimait se rappeler à lui-même qu’il était noble et connaissait
les usages de son état.
— Pour l’instant, dit mon père, je ne peux disposer que
de soixante-quinze mille livres, mais mon crédit est bon et je ne doute pas que
je puisse emprunter vingt-cinq mille livres à un denier raisonnable.
— Qu’appelez-vous raisonnable ? dit La Surie. Le
juif que j’emploie pour donner du ventre à mes pécunes prête au denier cinq [14] . Voudriez-vous vous mettre sur les
reins une dette de cette magnitude ?
— Je trouverai à moins, dit mon père.
— C’est tout trouvé, dit La Surie. Je viens de vendre
un bois pour un peu plus que cette somme. Elle
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