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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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ne fut que bien plus tard que j’en compris la
raison. Héroard savait (ce que j’appris moi-même dans la suite) que parmi les
serviteurs du roi qui se trouvaient là, et qui tous paraissaient si empressés
autour du petit roi, il y avait deux félons qui épiaient ses paroles et ses
moindres actions pour les répéter à la reine par le menu.
    La leçon de latin finie, Monsieur de Souvré, sans laisser à
Monsieur d’Aiguillon le temps de commencer ma présentation, s’approcha de Louis
et lui dit qu’il fallait qu’on le préparât, car il le voulait mener à la
grand-messe à Notre-Dame.
    — Hé là ! Hé là ! Monsieur de Souvré !
dit Louis en changeant aussitôt de visage, je vous prie que non !
    — Et pourquoi cela, Sire ?
    — Parce que c’est lundi et qu’une grand-messe un lundi,
c’est trop !
    — Mais, Sire, dit Monsieur de Souvré, il y aura de la
musique que vous aimez tant !
    — Mais la musique, dit Louis fort rechignant, il y en a
de deux sortes et celle-là, je ne l’aime point.
    — C’est décidé, Sire, vous irez ! dit Monsieur de
Souvré en s’inclinant avec le plus profond respect.
    — Monsieur de Souvré, reprit Louis, sa mine
s’allongeant encore, irai-je aussi à vêpres ?
    — Assurément, Sire, aux Augustins.
    — Aux Augustins, Monsieur de Souvré ! Mais les
vêpres y durent deux heures !
    J’envisageai Louis, tandis que tous les traits de son visage
se tiraient vers le bas dans le profond désespoir où le jetait cet emploi du
temps du lundi. Trois heures de messe le matin à Notre-Dame ! Et après la
repue de midi, deux heures de vêpres aux Augustins !
    — Sire, dit Monsieur de Souvré avec pompe, le roi très
chrétien ne saurait s’ennuyer dans la maison de Dieu…
    À cela Louis ne répliqua rien. Les yeux baissés, les dents
serrées, et le cou dans les épaules, il semblait partagé entre le chagrin et la
colère.
    C’est ce moment que choisit le grand chambellan (mais à vrai
dire, il n’avait guère le choix) pour me nommer à Sa Majesté.
    — Sire, lui dit-il avec un profond salut, j’aimerais
vous présenter le successeur du marquis de Saint-Régis : Monsieur le
chevalier de Siorac.
    Louis leva la tête et me considéra d’un air morne, tandis
que je me génuflexai devant lui et baisai la main qu’il me tendait.
    — Soyez le bienvenu céans, Monsieur de Siorac, dit-il,
mais sans le moindre élan et quasiment comme s’il me voyait pour la première fois.
    Je fus atterré par cet accueil et me relevant, et le saluant
de nouveau, je reculai de trois pas comme le voulait le protocole, attendant
qu’il voulût bien m’adresser la parole derechef, pour que je puisse lui
présenter le compliment d’usage. Mais il se détourna et le visage fermé, les
lèvres closes, appela ses gens pour qu’ils le vêtissent. Je ne savais, à vrai
dire, que faire de moi-même et dans mon désarroi, toujours reculant, je gagnai
insensiblement l’endroit où Héroard se tenait debout. Mais je trouvai là fort
peu de réconfort, car Héroard ne me fit pas le moindre signe d’amitié. D’un
autre côté, je n’osai point demander mon congé au roi, puisqu’il allait partir
ouïr la messe à Notre-Dame. Ce qu’il fit après quelques minutes qui me parurent
fort longues, précédé du grand chambellan et suivi de Monsieur de Souvré, de
Monsieur de Préaux, de Bellegarde et des capitaines.
    Dès qu’ils furent hors, Monsieur d’Auzeray, le premier valet
de chambre, vint s’incliner devant moi et me dit :
    — Monsieur le Chevalier, quand vous voudrez partir,
plaise à vous de me le dire, je vous raccompagnerai jusqu’au bas de l’escalier.
    — Monsieur, dis-je, assez étonné de cette courtoisie,
je vous remercie mais, de grâce, ne vous donnez pas cette peine.
    — C’est que, Monsieur le Chevalier, dit d’Auzeray, gêné
de me voir si ignorant, le protocole exige que les premiers gentilshommes de la
Chambre soient raccompagnés non pas uniquement jusqu’à la porte, mais jusqu’au
bas de l’escalier.
    — Monsieur d’Auzeray, dit alors Héroard, plaise à vous
de me permettre de raccompagner le chevalier à votre place, puisqu’aussi bien
je pars aussi.
    — Révérend docteur médecin, dit d’Auzeray en
s’inclinant, je vous fais mille mercis. Monsieur le Chevalier, je suis votre
serviteur.
    L’huis refermé sur nous, Héroard tout en marchant, mais sans
me prendre le bras, comme il le faisait à l’accoutumée, me

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