L'Enfant-Roi
faire !
— Et un laquais.
— Un laquais au surplus, Madame ?
— Allez-vous de votre personne ouvrir votre porte,
quand vous aurez des visites ?
— Ah ! C’est donc ce que ce laquais fera. Jour du
ciel ! Il ne mourra pas de fatigue.
— Il ne s’agit pas de sa fatigue, dit la duchesse, sa
prunelle bleue noircissant en son ire, mais de votre rang.
— Madame, dis-je en m’inclinant, ne me gourmez pas, de
grâce. Je ferai votre commandement.
— Et au surplus un page, Monsieur. Lequel il vous
faudra choisir vif, déluré, et si possible joli et de bonne maison, car c’est
au page que l’on juge le maître. Mon beau filleul, je vous quitte la place, la
reine m’attend.
Une fois de plus j’assurai ma bonne marraine de ma parfaite
soumission et me caressant la joue (ne voulant pas gâter céruse, peautre et
rouge en me baisant) elle me quitta, fort contente de moi, d’elle-même, de mon
père, de son rang, de sa merveilleuse santé, de son allant, de son esprit et en
général, de la vie qui était la sienne et qui ne lui ferait vraiment peine
qu’en la quittant.
Un écuyer ? m’apensai-je. Un laquais ? Et comment
leur donner des gages, alors que je ne toucherais la pension de ma charge qu’au
plus tôt fin décembre ? Et n’ayant au demeurant nulle envie, après
l’énorme somme dont mon père s’était saigné pour moi, de recourir derechef à
son escarcelle pour payer des pendards à ne rien faire.
À mon sentiment, le seul serviteur utile, outre Louison,
serait le page. Car il pourrait seller mon cheval, ouvrir ma porte et au
surplus porter billets et messages.
Je n’eus pas à chercher le garcelet. Sur le seul bruit que
je m’installais au Louvre, il se présenta de soi, se disant désoccupé par
Madame de Guercheville. Il m’avait connu quelque peu, du temps où j’étais truchement
ès langues étrangères du feu roi. Il s’appelait La Barge et comme on s’en
souvient peut-être, il m’avait confié ses malheureuses tentatives pour séduire
une chambrière, laquelle l’avait rebéqué et souffleté, le trouvant « trop
petit ». C’est vrai qu’il n’avait que quatorze ans et que même pour son
âge il n’était pas fort grand. Mais je le trouvais vif, éveillé, avec de beaux
yeux noisette qui voyaient beaucoup de choses et de grandes oreilles qui
remplissaient bien leur office. Ce page fureteur me plut, car je pensais que
j’en tirerais beaucoup de bruits de coulisse et de couloir en ce palais où
j’étais si neuf.
Mais avant que de l’engager, je voulus savoir ce qu’en
disait Madame de Guercheville. La dame, on s’en souvient, avait la main haute
sur les filles d’honneur de la reine et les menait à la baguette, ayant comme
Argus cent yeux pour veiller sur leur vertu. Fort belle en la fleur de son âge,
Madame de Guercheville avait repoussé alors les assauts de notre Henri, ce qui
lui avait donné une réputation de pruderie telle et si grande quelle avait
découragé, sa vie durant, nos beaux muguets de cour. Il se peut, bien à tort.
Car en notre entretien elle se montra fort assassine en ses regards et ses
sourires, et peu désireuse d’abréger nos propos. Elle me fit le plus grand
éloge de La Barge qu’elle n’avait désemployé que pour donner son emploi au fils
d’une haute dame qui l’avait requis d’elle.
Pendant qu’elle me tenait ainsi le dé – disant dix mots
quand deux eussent suffi – je craignais, et en même temps j’espérais,
apercevoir dans ses alentours Mademoiselle de Fonlebon. Mais j’eus beau laisser
le coin de ma prunelle s’égarer sur nombre d’accortes garcelettes qui voguaient
autour de nous – dont certaines avaient dansé fort dévêtues dans ce Ballet
des Nymphes qui avait brisé le cœur de notre Henri – je ne vis pas ma
cousine parmi elles.
La première chose que je demandai à La Barge, dès qu’il
entra à mon service, fut de me dire à quelle personne je me devais adresser
pour obtenir d’être reçu par la marquise d’Ancre.
— Vous avez le choix, Monsieur le Chevalier, dit-il.
Deux personnes feront l’affaire. Ou son secrétaire florentin, Andréa de Lizza
ou son médecin juif, Philothée Montalto.
— Un médecin juif au Louvre ? dis-je, béant. Dans
le temps où les Barbons rêvent de dresser des lettres patentes qui
commanderaient aux juifs de vider le royaume ?
— C’est bien pour cela, dit La Barge, que la reine a dû
demander au pape la permission de faire venir
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