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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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guérir.
    — De quel barbier s’agit-il ? dit mon père d’un
air suspicionneux.
    — Riolant.
    — Ah ! Vous me rassurez ! Lui au moins ne
taille pas à tort et à travers !
    — En effet, dit l’Estoile, il ne me tailla point,
encore que de prime je le lui demandasse, tant je souffrais. Mais enfin, de cet
aposthume aussi je guéris, et un bon moine, me venant visiter, me consola de
mes malheurs, en m’assurant que ces maux, tous envoyés par Dieu, n’étaient que
de secrètes miséricordes par lesquelles le Seigneur me reconnaissait d’avance
pour un des siens.
    — Si cette pensée vous conforta, mon ami, dit mon père
en levant les sourcils d’un air de doute, c’est qu’en effet elle était bonne
pour vous…
    Pour moi, il me tardait que la conversation prit un autre
tour, car tous ces détails, surtout à table, me paraissaient assez peu
ragoûtants, bien que l’Estoile ne les eût décrits que parce qu’il savait que
mon père était médecin et le pourrait au besoin conseiller. Il est vrai que
lorsqu’on a dix-huit ans, la chair étant neuve encore, et si forte la houle du
sang, il est difficile d’éprouver une compassion autre que chrétienne pour un
corps que l’âge sous nos yeux défait.
    — Monsieur, dis-je, tant par curiosité que pour changer
de sujet, qu’en est-il de ce financier à qui le Conseil du roi après enchères
avait adjugé les cinq fermes et à qui on les a ôtées pour les donner à un
Italien ?
    — Allory ? Le malheureux, criant à l’injustice, a
fait opposition auprès de la Cour des Comptes. Cela prendra du temps, mais
comme la loi a été visiblement violée à son préjudice, la Cour des Comptes
rendra un arrêt en sa faveur.
    — Voilà qui est bien ! dis-je.
    — Voilà qui est mal, dit l’Estoile avec un petit
haussement d’épaules… l’arrêt ne servira de rien, car la reine, comme elle l’a
déjà fait, adressera une lettre de jussion à la Cour des Comptes pour
qu’elle enregistre sans plus languir le bail de l’italien et la Cour des
Comptes obéira. Mon jeune ami, il n’y a plus de loi en ce royaume ! Et
c’est à peine si l’on peut encore dire qu’il y a un État…
    — Ah ! Monsieur de l’Estoile ! dit mon père,
vous allez dans l’excès !
    — Point du tout ! dit l’Estoile avec un retour de
son ancienne vigueur. Voulez-vous que je vous en donne un exemple mille fois
plus scandaleux que celui d’Allory ? Mais peut-être, reprit-il en latin,
faut-il attendre que le serviteur ait quitté la place ?
    — Celui-là est muet comme tombe, dit mon père tandis
que Franz passait les plats. Il est à son maître si fidèle que si son oreille
d’aventure surprenait une indiscrétion, elle s’effacerait aussitôt de sa
mémoire.
    — Eh bien, mon ami ! dit l’Estoile, vous n’ignorez
pas que le Premier Président du Parlement désire se retirer.
    — Eh quoi ! dit mon père. Achille du Harlay !
Faire retraite aux champs ! Un homme de sa trempe et vigueur !
    — Il ne l’est point tant qu’autrefois, dit l’Estoile en
secouant tristement la tête. Sa vue faiblit, son oreille s’épaissit et tant le
tord et tourmente la goutte qu’il devient podagre. Bref, la reine accepte qu’il
vende sa charge pourvu qu’elle agrée celui qui l’achètera.
    — Combien en veut le président du Harlay ?
    — Trois cent mille écus.
    — Diantre ! dit mon père en ouvrant de grands
yeux. Il est vrai qu’il s’agit de la charge de Premier Président du Parlement.
Mais tout de même ! Trois cent mille écus ! Quelle somme ! Et il
y a des candidats ?
    — Mon ami, dit l’Estoile avec un sourire qui le temps
d’un éclair rajeunit son visage fripé, vous paraissez oublier qu’à la
différence de la grande noblesse, d’aucuns membres du tiers état possèdent
d’immenses biens…
    — Juste récompense de leur labeur et du sage ménagement
de leurs pécunes ! dit mon père qui, en ces matières, se sentait plus
proche de la robe que de l’épée.
    — Et pour les candidats, reprit l’Estoile, il n’y en a
pas moins de trois.
    — Trois ? Juste ciel ! Et qui sont
ceux-là ?
    — Le président De Thou…
    — De Thou ? L’auteur de l’ Histoire
Universelle ? dit La Surie qui voulait montrer qu’il avait lu ce
superbe livre, et non sans peine, pour la raison qu’il était rédigé en latin.
    —  Ipse [23] , dit l’Estoile. C’est
un homme illustre, comme vous voyez.
    — Mais en

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