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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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l’occurrence, dis-je, ce n’est point tant
recommandation d’avoir écrit ce livre, puisque le pape l’a mis à l’index.
    — Et pourquoi ? dit La Surie, toujours avide
d’apprendre.
    — En raison, dit mon père, de ses tendances gallicanes
et du peu d’antipathie de l’auteur pour les protestants. Mais mon ami,
reprit-il, en se tournant vers l’Estoile, de grâce, poursuivez !
    — Le second candidat est le président Jambeville. Et le
troisième, Monsieur de Verdun.
    — La reine, dit mon père, doit avoir quelque peine à
choisir entre ces trois candidats. D’autant que chacun des trois doit disposer
auprès d’elle de puissants appuis.
    — De Thou, dit l’Estoile, se recommande par son savoir,
ses vertus, son désintéressement et son grand renom d’équité.
    — Alors, il est perdu ! dit mon père.
    À quoi nous rimes.
    — Jambeville, reprit l’Estoile, est fort soutenu par le
marquis d’Ancre dont il est un des plus assidus lécheurs…
    — Il a donc ses chances !
    — Mais Monsieur de Verdun, lui, a la faveur du père
Cotton et des jésuites…
    — Ah ! Un encottonné ! dit mon père. Voilà
qui change tout ! Verdun a donc aussi ses chances…
    — Mais, Monsieur de l’Estoile, dit La Surie, qui donc
est ce Verdun-là ?
    — Un Toulousain. À ce qu’on dit, un vrai moulin à vent
qui ne se meut que lorsque le vent de la vanité donne dans la voile de ses
ambitions…
    — Ah ! Monsieur de l’Estoile ! dit La Surie dont
je ne sus s’il gaussait ou non, que cela est galant ! C’est poésie toute
pure que cette phrase-là !
    — Bref, dit mon père, que fit la reine, ayant à choisir
entre De Thou, Jambeville et Verdun ?
    — Je vous le donne en mille.
    — Je gagerais, si j’étais parieur, dit La Surie.
    — Ne gagez pas, mon ami ! dit l’Estoile. Vous
perdriez ! Ce que fit la reine passe l’imagination !
    — Que fit-elle donc ? dit mon père.
    — Imaginez l’inimaginable ! Et l’inimaginable le
plus calamiteux !
    — Mais encore ?
    — Elle écrivit au pape pour lui demander conseil quant
à celui qu’elle devait choisir : De Thou, Jambeville ou Verdun !
    Mon père, La Surie et moi, nous nous entreregardâmes, béants
et quasi privés de voix.
    — Jour de Dieu ! s’écria mon père, quand il eut
repris ses esprits, dois-je en croire mes oreilles ? La reine de France
consulte le pape sur le Premier Président qu’il convient de donner au Parlement
de Paris ! Et comment le prend ledit Parlement ?
    — Très à la fureur ! Et d’autant plus vive qu’il
faut la taire ! Il écume de rage ! On n’entend au palais que
grognements à mi-bouche : A-t-on jamais ouï en France qu’un pape se soit
mêlé de nous donner des Premiers Présidents ? Autant lui remettre à
s’teure le sceptre et la main de justice qu’on a baillés le jour du sacre à Louis ! Et caetera, et caetera…
    —  Et quelle fut la réponse du pape ?
    — Brutale et subtile. La voici. Il s’agit dans l’ordre
de Messieurs De Thou, Jambeville et Verdun. «  Il primo, dit
le pape, haeretico ; il secundo, cattivo ; il terzo, non cognosco. [24]  »
    — Et où est la subtilité ?
    — Le pape écarte De Thou comme hérétique, Jambeville
comme méchant. Il ne reste donc plus que Verdun, mais le Saint-Père se garde de
le proposer, prétendant « qu’il ne le connaît pas ».
    — Et c’est faux ?
    — Pour que ce fût vrai, il faudrait admettre que les
jésuites ne lui aient pas fait connaître leur favori.
    — Et quel est l’avantage pour le pape de professer
cette ignorance ?
    — Il n’a nul besoin de se compromettre en recommandant
Verdun, puisqu’il a éliminé les deux autres.
    — C’est donc Verdun que la reine a choisi ? dit
mon père avec un soupir.
    — Qui d’autre ?...
    — Et Verdun avait en sa possession les trois cent mille
écus qu’il fallait ?
    — Nenni, mais il y eut foule pour les lui prêter :
les jésuites y veillèrent.
     
    *
    * *
     
    Le dîner de Pierre de l’Estoile en notre logis du Champ
Fleuri fut sa dernière sortie. Il mourut quelques semaines plus tard et bien
que nous n’eussions pas dû en être étonnés après l’état dans lequel nous
l’avions vu, sa fin subite nous surprit et nous fit peine. Encore qu’il eût
comme tout bourgeois instruit et bien garni acheté, puis à sa retraite revendu,
son état de Grand Audiencier, l’Estoile proclamait en toute occasion

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