L'Enfant-Roi
avait peu de monde dans les
appartements royaux : Monsieur de Souvré, Héroard, Bellegarde, d’Auzeray,
le capitaine de Vitry et Descluseaux. Le petit roi était à son déjeuner, lequel
se composait de raisins de Corinthe au sucre et à l’eau de rose, de tartines de
pain et de beurre et de tisane, car on ne lui baillait jamais de vin à son
lever. Il avait bon visage et mangeait avec appétit et en silence. Quand il eut
fini, il commanda à Monsieur d’Auzeray de lui donner une serviette, s’essuya la
bouche et les mains et se tournant tout soudain vers moi, il dit :
— Monsieur de Siorac, vous plairait-il de voir mes
armes ?
— Bien volontiers, Sire, dis-je, le cœur me battant.
Il se leva alors de sa chaire et se tournant vers
Descluseaux – un garde français qu’il aimait beaucoup et dont il avait
fait son armurier – il lui dit d’un ton enjoué :
— Sus, Descluseaux ! Cours à l’étage et ouvre mon
cabinet aux armes !
Descluseaux monta l’étage quatre par quatre, et Louis aussi promptement
à sa suite, et moi-même le suivant. Dès que la porte fut déverrouillée, le roi,
me prenant par la main, me tira à soi, s’engouffrant dans le cabinet, et
refermant l’huis sur nous.
Il y avait là, accrochées au mur, ou rangées dans des
râteliers, toutes les variétés d’armes blanches, de jet et de tir qu’on pouvait
imaginer : d’aucunes désuètes, comme des arcs et des arbalètes, qui
n’étaient là que pour la montre, mais d’autres fort modernes, fort bien
entretenues et prêtes à l’emploi. En particulier les bâtons à feu :
pistoles, pistolets, arquebuses à mèche ou à rouet. J’y vis même deux petits
canons et leurs boulets.
Louis ne se rassasiait pas de caresser des yeux et des mains
ces belles armes, comme aussi, à ce que j’avais appris, de les démonter, d’en
vérifier les mécanismes, de les graisser, selon le cas de les dégraisser, et de
les remonter avec une promptitude surprenante, étant aussi expert en armurerie
qu’au tir.
Il rayonnait à leur contact, non qu’il fût sanguinaire le
moindre, mais parce qu’à ce moment-là, il se sentait plus proche de son père,
le roi-soldat, sur les traces de qui il ambitionnait de marcher sa vie durant,
mettant méticuleusement les pieds dans les pas de cette grande ombre dont il se
voulait l’héritier et d’elle seule, ayant, pour ainsi parler, rejeté de soi une
fois pour toutes le sang Habsbourg qu’il tenait de sa mère.
Je le trouvai, sinon grandi, à tout le moins mûri par son
terrible deuil, le visage moins poupin, la mine plus assurée, taciturne, et
quand il parlait, la parole brève, mais bégayant beaucoup moins qu’autrefois,
le visage au repos fermé, indéchiffrable, mais ses grands yeux noirs toujours
sur le qui-vive et l’oreille attentive, tendue à ce qui se disait autour de lui
mais sans glose ni critique, bien conscient de n’avoir que l’apparence et la
pompe du pouvoir et attendant son heure avec une prudence bien au-dessus de son
âge.
Je sentais bien qu’il y avait un dessein dans ce bec à bec
en son armurerie, comme aussi une intention dans la froideur qu’il m’avait montrée
jusque-là, me jugeant et me jaugeant de ses invisibles antennes. Et j’étais sûr
que s’il avait pris une décision à mon endroit, il me la laisserait entendre
par des moyens indirects, sans me la dire avec des mots, tant il se méfiait des
paroles. « Savez-vous pas, Monsieur de Souvré, avait-il dit un jour
à son gouverneur, que je ne suis pas grand parleur ? »
— Voici ma Blainville, dit-il en décrochant du mur une
arquebuse à rouet. Je l’appelle ainsi, parce que c’est Monsieur de Blainville
qui me l’a donnée. Et cette autre que je préfère à toutes, parce qu’elle est
précise et porte loin, je la nomme « ma grosse Vitry ».
— Pourquoi « grosse », Sire ? me
hasardai-je à demander.
— Parce que Vitry m’en a baillé deux et que celle-ci
est la plus grosse des deux.
J’observais, tandis qu’il parlait, qu’il avait aussi une
collection d’armes plus petites, pistoles, pistolets et poitrinaires et je lui
demandai, le sachant si savant en armurerie, si le poitrinaire avait encore son
utilité.
— C’est une petite arquebuse qui se tire de la
poitrine, et non de l’épaule. Elle est peu précise. On ne l’emploie plus guère
dans les combats…
Tout soudain, il sourit d’un air gaussant et me prenant par
le bras, il me mena devant
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