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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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son
hostilité à la vénalité des charges. Et en ce dernier repas, il avait une fois
de plus dénoncé ce « vilain trafic » qu’on faisait en France des
charges et principalement de celles de la judicature. « Car, avait-il
argué en s’animant, vendre la justice qui est la chose la plus sacrée du monde,
c’est vendre la république, c’est vendre le sang des sujets, c’est vendre les
lois… »
    À l’occasion de la mort de l’Estoile, on reparla au Champ
Fleuri de la scandaleuse démarche de la reine auprès du pape et mon père opina
qu’outre le fait qu’elle ne se sentait aucunement française, elle n’avait pas
au demeurant une once de bon sens sous son bonnet.
    — La chose est claire, dit-il : les faveurs
exorbitantes entassées sur la tête du Conchine et de la Conchinasse lui ont
aliéné le peuple. Les Grands lui gardent mauvaise dent de ce qu’elle n’a jamais
pour eux le moindre égard. Et c’est maintenant au tour du Parlement de lui en
vouloir. Elle est si ignare qu’elle ne doit même pas savoir que le Parlement
est aussi gallican qu’on peut l’être et n’a jamais souffert l’ingérence du pape
dans les affaires de France.
    — Cela veut-il dire, demanda La Surie, qu’étant
gallican, le Parlement a de la sympathie pour les huguenots ?
    — Pas du tout. Non plus d’ailleurs que pour les
jésuites.
    — Et Monsieur de l’Estoile ?
    — Ah ! C’est différent ! L’Estoile s’est
maintenu, quant à lui, sur le bord du calvinisme, mais sans consentir à y
tomber jamais. À part cette tentation-là, il fut exemplaire comme bourgeois,
comme homme de robe et comme Parisien.
    — Comment cela, comme Parisien ? dis-je, étonné.
    — En vrai Parisien, il se montra, sa vie durant, fort
critique à l’égard de tous et de tout et cependant fort badaud et crédule. Il
n’était dans le royaume de veau à dix pattes, de sorcier, de femme possédée par
le diable ou de miracle pisseux auquel il ne crût aussi fermement que Mariette.
Pauvre grand ami ! Tant de savoir et tant de naïveté ! Espérons que
là où il est, les secrètes miséricordes qui se cachaient derrière ses
souffrances ne l’auront pas déçu…
    Le lendemain de cet entretien, qui était un dimanche, j’ouïs
la messe à Notre-Dame et y écoutai le prêche de Monsieur de Luçon [25] , jeune et fort élégant prélat qui me
séduisit autant par ses manières qui sentaient le gentilhomme de bon lieu que
par son éloquence claire et incisive.
    Après la messe, retrouvant devant le porche ma jument et le
genet d’Espagne gardés par La Barge (lequel paradait à sa ceinture un gros
pistolet qui tendait à décourager les voleurs de chevaux), je gagnai
l’extrémité de la cité et là, passant par le Pont Neuf, je traversai le
carrefour où j’avais vu pendre le petit voleur de bûches.
    La matinée était douce et ensoleillée et le dimanche
désoccupant les Parisiens, il y avait presse par les rues et n’ayant moi-même
d’autre but que de flâner et de m’ébaudir, je jetais un œil de-ci de-là du haut
de ma jument sur les décolletés des garcelettes qui s’en revenaient de messe,
ou s’y rendaient, fort pimpantes en leurs beaux affiquets. En outre, si bien le
lecteur s’en ramentoit, j’aimais et le Pont Neuf et la rue Dauphine, pour ce
que l’un avait été construit par notre Henri et l’autre percée par lui à
l’endroit où les Augustins avaient leurs jardins, afin de faire suite au pont
et de mener droit à la Porte de Buci. Tout reluisait en cette rue, les maisons
nouvelles étant bâties en bel appareillage de briques et de pierres, les
verrières et volets, fraîchement peints et le pavé, jointoyé à miracle.
    Bien que je n’allasse nulle part, je ne sais quel ange, ou
plutôt quelle fée, guida ma jument, alors même que je laissais flotter les
rênes sur son encolure, car elle me mena droit rue des Bourbons devant l’hôtel
de Madame de Lichtenberg. De hauts murs le séparaient de la rue, mais comme je
levai les yeux, je m’aperçus avec stupéfaction que les contrevents des fenêtres
étaient ouverts et les verrières, décloses. Mon cœur me cogna contre les côtes,
mi de joie mi d’appréhension. Je n’osais croire qu’elle fût là, puisque je
n’avais pas reçu le moindre billet de Bassompierre, lequel pourtant était parti
depuis belle heurette pour Heidelberg. Et si ma Gräfin ne se trouvait
point en la demeure, qui donc avait le front d’occuper la

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