L'énigme des blancs manteaux
ses arrières en évitant de se faire clouer contre le mur comme un papillon sur sa planche.
À demi couché près de la cheminée, il tâtonna de la main et toucha des tiges métalliques froides ; c'étaient des pincettes. Il réussit à les décrocher et,prenant garde à ne rien heurter, les projeta à travers la pièce. Le lustre, frôlé, tinta discrètement, puis il y eut un bruit sec et une cascade de sons cristallins. L'une des glaces de la paroi, brisée, avait dû s'effondrer. Il y eut un froissement de tissus, un choc et un meuble renversé. Nicolas pria le ciel que son adversaire ne dispose pas de briquet. Il se rassura cependant ; le premier qui ferait du feu se découvrirait.
Nicolas, dos au mur, s'installa dans l'attente. Le danger était grand de s'y engourdir et de perdre la notion de l'espace redoutable qui l'environnait. Il ne se faisait guère d'illusions. Il s'agissait d'un combat à mort ; Mauval ne pouvait plus le laisser vivre. Il espérait encore sans trop y croire que Bourdeau parviendrait à intervenir à temps ou que le guet arriverait en force.
Nicolas songea curieusement qu'il était comme Phinée assailli par les Harpyes 77 . Zelies et Calaiis 78 arriveraient-ils à temps pour le tirer de ce mauvais pas ? Ce souvenir lui donna à réfléchir. Selon la tradition, le vieux roi aveugle ne disposait que d'un bâton pour se défendre des attaques des monstres. Lui, avait une épée. L'idée lui vint de joindre l'attaque à la défense et d'user d'un stratagème que cette évocation mythologique lui suggérait.
Il dégaina lentement son arme, la posa sur le sol, puis, tout aussi précautionneusement, enleva sa redingote. Tâtant le mur, il se déplaça vers la droite pour rejoindre la croisée près de laquelle se trouvait la cage du perroquet. Parfois, il s'arrêtait, le cœur battant, pour scruter l'ombre menaçante et tenter de discerner si Mauval manœuvrait lui aussi. Il était vraisemblable qu'il avait choisi la même tactique conservatoire, celle de rester adossé contre un mur, sans doute près de la porte.
Nicolas sentit enfin la table de marqueterie sur laquelle la cage était posée. Il s'en approcha, ouvrit la porte grillagée et saisit l'oiseau de porcelaine. Il le posa sur la table avant de se figer à l'écoute d'un craquement lointain du plancher. Ce bruit fut suivi d'un raclement de meuble poussé ou traîné. Il fallait agir au plus vite et prendre l'adversaire de vitesse. Il disposa sa redingote sur la cage comme pour constituer un épouvantail, et éprouva le poids de l'ensemble afin d'être sûr de pouvoir le brandir. Ce qui allait suivre exigeait une parfaite coordination des gestes extrêmes, mais Nicolas se sentit comme allégé : il avait pesé le pour et le contre, et maintenant les dés étaient jetés.
Après avoir posé son épée, il saisit la cage par le milieu et la souleva. Il prit dans sa main droite le perroquet de porcelaine qu'il jeta aussitôt avec force à travers la pièce ; la mort de Coco n'aurait pas été inutile. En même temps qu'il l'entendait se fracasser sur un mur, il perçut distinctement le déplacement brusque de l'ennemi et, à nouveau, un meuble tomba. Alors, la cage couverte du manteau d'une main et l'épée de l'autre, il s'avança dans la pièce en se repérant le long du mur à sa droite. Au moins, de ce côté-là, il était préservé de toute attaque. Se déplaçant de biais, il tenta de gagner la porte. Une lame fouetta l'espace et cingla son habit. Mauval était là.
Sur le coup, l'émotion lui coupa le souffle. Nicolas eut le sentiment qu'il ne parviendrait pas à rejoindre la porte pour se défendre au grand jour dans un combat honorable. Si toute issue faisait défaut, le hasard seul, ou la main de Dieu, dirigerait les assauts et orienterait leur conclusion qui ne serait ni la récompense du courage ni celle de l'adresse. La fatalité ordonnerait, pour une raison inconnue, lerésultat de la conjonction absurde de leurs deux destins.
Nicolas fit une large enjambée sur la gauche. Il supposait que Mauval avait compris son intention de gagner la porte. Il anticipait sur la prochaine attaque qui, en toute logique, devait frapper à sa droite. Non content de lui enseigner les rudiments de l'escrime, le marquis de Ranreuil l'avait initié aux échecs. Il fallait, se souvenait-il, toujours déplacer ses pièces en ayant à l'esprit les cinq ou six mouvements suivants. Le problème, ici, était que les positions de l'adversaire
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