L'énigme des blancs manteaux
change dont les signatures avaient été contestées. Nicolas vit en pleine rue les exempts attraper un individu aux yeux vifs, à la figure étonnante et qui parlait français avec un fort accent italien. L'homme le prit à témoin:
— Monsieur, vous qui me paraissez honnête homme, voyez comme on traite un citoyen de Venise. On se saisit du noble Casanova. Témoignez de l'injustice qui m'est faite. C'est un crime contre quelqu'un qui vit et écrit en philosophe.
Nicolas le suivit jusqu'à la prison de Fort l'Évêque. Sartine, quand il lui fit son rapport, se mit à jurer sourdement et s'écria:
— Il sera libre demain: M. de Choiseul protège cet escroc, plaisant homme au demeurant.
L'apprenti policier tira diverses conclusions de cet épisode.
Une autre fois, il dut proposer l'achat de bijoux à un courtier en horlogerie qui se faisait délivrer, pour la revente, quantité d'objets précieux, mais dont la banqueroute était attendue. Nicolas devait se faire passer pour un envoyé de M. Dudoit, commissaire de police au faubourg Sainte-Marguerite, que Sartine soupçonnait d'avoir partie liée avec le courtier. Le chef de la police parisienne tenait son monde serré, ne souhaitant pas qu'éclatent à nouveau, comme en 1750, des émeutes populaires contre la malhonnêteté de certains commissaires. Même le monde du jeu ne resta pas étranger à Nicolas, il sut bientôt faire la différence entre recruteurs, embaucheurs, tenanciers, rabatteurs, receveurs de loterie et tout le monde de la cocange 1 et du bonneteau.
Tout à Paris, dans le monde du crime, tournait autour du jeu, de la débauche et du vol. Ces trois mondes communiquaient entre eux par d'innombrables canaux.
En quinze mois, Nicolas apprit son métier. Il connut le prix du silence et du secret. Il vieillit, sachant désormais mieux maîtriser ses sentiments en refrénant une imagination toujours trop agitée à son gré. Ce n'était plus l'adolescent que le père Grégoire avait accueilli à son arrivée à Paris. La lettre de Guérande qui lui annonçait l'état désespéré de son tuteur trouva un autre Nicolas. La silhouette sombre et sévère qui, dans ce matin froid de janvier 1761, se tenait à la proue du chaland, face à la Loire sauvage, c'était déjà celle d'un homme.
II
GUÉRANDE
Passion da Vener Maro dar Zadom Interramant d'ar Zul Dar baradoz hec'h ei zur.
Agonie le vendredi Mort le samedi Enterrement le dimanche Au paradis ira sûrement.
Dicton de Basse Bretagne
Mercredi 22 janvier 1761
La Loire se montra clémente jusqu'à Angers. La pluie, mêlée de neige, n'avait pas cessé et pendant la nuit, passée à Tours, le niveau du fleuve avait continué de monter. Parfois, dans une trouée de brume, une cité fantôme surgissait, grise et morte. Les rives défilaient, invisibles. En arrivant à Angers, le chaland fut pris dans des remous contraires. Il heurta la pile d'un pont, tournoya plusieurs fois sur lui-même puis, désemparé, démembré, s'échoua sur un banc desable. L'équipage et les passagers purent regagner la rive à bord d'une plate.
Après s'être réconforté d'un vin chaud dans une auberge de mariniers, Nicolas s'enquit des possibilités de gagner Nantes. Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis son embarquement. Pourrait-il arriver à Guérande à temps pour revoir son tuteur? Il mesurait avec angoisse les nouveaux retards qui menaçaient de s'accumuler. Le fleuve était de moins en moins praticable et aucun bâtiment ne se hasarderait, en aval pour le moment. La route ne paraissait pas meilleure pour les berlines, et il renonça à attendre la prochaine malle.
Confiant dans ses qualités de cavalier, Nicolas décida de se procurer une monture et de poursuivre son chemin à franc étrier. Il disposait désormais d'économies provenant des gages versés par Lardin. Une quarantaine de lieues le séparaient de sa destination. Il irait au plus direct d'Angers à Guérande. Nicolas se sentait de taille à affronter les brigands. Il devrait aussi compter avec les troupes de loups affamés qui, en cette saison, erraient, à la recherche de proies, et qui n'hésiteraient pas à l'attaquer. Mais, rien ne pouvait ébranler sa volonté d'arriver au plus vite. Il choisit donc un cheval qu'il paya à prix d'or — le maître de poste hésitait, par ce temps, à hasarder ses pensionnaires — et piqua des deux dès qu'il eut franchi les murailles de la ville.
Le soir même, il couchait à Ancenis et, le lendemain,
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