L'énigme des blancs manteaux
préférés de son enfance, il ne consentit pas à y toucher, se contentant d'un morceau de pain. Il passa une partie de la journée à errer à travers les marais, les yeux fixés sur la ligne de la mer qui blanchissait l'horizon. Un désir de départ et d'oubli l'envahissaient. Il poussa même jusqu'au bourg de Batz, montant, comme il le faisait chaque fois avec Isabelle, au sommet du clocher de l'église. Coupé du monde, dominant les marais et l'océan, il se sentit mieux.
Quand il revint, trempé, il trouva maître Guiart, le notaire, qui l'attendait le dos au feu. Il invita Nicolas et Fine à écouter la lecture d'un testament fort court, dont les dispositions essentielles résidaient dans la mention finale : « Je meurs sans richesses, ayant toujours donné aux pauvres le surplus que Dieu avait bien voulu me réserver. La maison que j'habite appartient au chapitre. Je prie la providence de pourvoir au besoin de mon pupille. Il lui sera remis ma montre en or à répétition, pour remplacer celle qui lui fut naguère dérobée à Paris. Quant à mes biens propres, hardes, meubles, argenterie, tableaux et livres, il comprendra qu'ils soient vendus pour constituer une rente viagère, au denier vingt, à Mlle Joséphine Pelven, ma gouvernante qui, depuis plus de trente ans, s'est dévouée à mon service. »
Fine pleurait et Nicolas s'efforçait de la consoler. Le notaire rappela que le jeune homme devait régler les gages de la servante, les frais du médecin et del'apothicaire, ainsi que les tentures, chaises et cierges des funérailles. Les économies de Nicolas diminuaient à vue d'œil.
Après le départ du notaire, il se sentit étranger dans sa maison, et désespéré de voir Fine prostrée sur une chaise. Ils restèrent longtemps à parler. Elle repartirait chez elle, où elle avait encore une sœur dans un village près de Quimper, mais s'inquiétait surtout de ce qu'il adviendrait de celui qu'elle avait élevé. Un à un, les liens qui attachaient Nicolas à Guérande se rompaient et lui-même dérivait, comme un bateau désamarré, emporté par des courants contraires.
Le mardi, Nicolas se décida enfin à répondre à l'invitation de son parrain. Il voulait fuir le logis de la rue du Vieux-Marché où maître Guiart avait commencé l'inventaire et la prisée des biens du défunt, tandis que Fine achevait ses paquets.
Il cheminait lentement, songeur, ayant mis sa monture au pas. Le temps était revenu au beau, mais le gel couvrait les landes d'une résille blanche. La glace des ornières craquait sous les sabots du cheval.
En approchant d'Herbignac, il se remémora les traditionnelles parties de soule. Ce jeu violent et rustique, venu du fond des âges, exigeait un corps vigoureux, du courage, du souffle, et une résistance à toute épreuve quand coups et horions pleuvaient sur les participants. Nicolas en gardait le souvenir sur son corps. Une arcade droite ouverte avait laissé une cicatrice encore visible. Quant à sa jambe gauche, brisée par un coup de galoche, elle se rappelait à lui dès que le temps passait à la pluie.
Il éprouvait pourtant une certaine jubilation au souvenir de ces courses effrénées où le soulet, cettevessie de porc bourrée, de sciure et de chiffons, devait être apportée au but. La difficulté tenait à ce que le terrain était illimité, que le porteur du soulet pouvait être poursuivi n'importe où, y compris dans les mares ou les ruisseaux qui abondaient dans cette campagne, et que les coups de poing, de tête et de bâton étaient permis et même encouragés. Les fins de parties voyaient les adversaires épuisés et sanglants se retrouver pour des ripailles fraternelles, après que le baquet les avait débarrassés de la gangue de glaise ou de vase qui les recouvrait. Car il arrivait que la poursuite gagnât parfois jusqu'aux rives de la Vilaine.
Ces méditations avaient rapproché le jeune homme de sa destination. Au fur et à mesure que montaient au-dessus de la lande les grands chênes du lac et le sommet des tours du château, s'affermissait sa volonté d'éclaircir le mystère de la disparition d'Isabelle.
Rien, aucun signe, depuis son départ de Paris. À aucun moment, elle ne s'était manifestée, même pour le deuil de Nicolas. Peut-être l'avait-elle oublié, mais le plus cruel était l'incertitude actuelle. Il appréhendait bien la souffrance d'une séparation définitive, mais il ne parvenait pas à imaginer l'avenir au cas où son amour serait
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