L'énigme des blancs manteaux
après une longue et honorable carrière, enragé de jeu et qui doit subvenir aux besoins de sa jeune femme, coquette et frivole. Il dilapide des sommes considérables et tombe entre les mains de maîtres chanteurs. Sa situation est si compromise que sa propre servante est contrainte de participer de ses deniers aux dépenses du ménage. Il est acculé.
Nicolas jeta un regard appuyé sur son chef qui hocha la tête.
— Lardin décide de disparaître. Il espère que cette disparition lui permettra de refaire fortune et de fuir à l'étranger, où il compte s'établir. Il prépare un plan criminel. Sa femme, Louise Lardin, a un cousintrès riche et qu'elle hait, le docteur Descart. Il faudra donc parvenir à le faire accuser de l'assassinat du commissaire ; après quoi, il sera jugé, exécuté, et ses biens saisis au profit de l'épouse de sa victime qui, à cette époque-là, est son héritière naturelle. Mme Lardin consent et se donne à Descart pour justifier les soupçons qui porteront sur lui.
— C'est faux, vous mentez ! Ne l'écoutez pas.
Louise Lardin avait interrompu Nicolas, et Bourdeau dut la maîtriser pour qu'elle ne lui saute pas au visage.
— C'est la vérité, madame. Descart a été attiré dans un piège au Dauphin couronné. La Paulet lui avait fait miroiter les plaisirs d'une nouvelle pensionnaire. On lui a fait tenir un masque et une cape noire pour son déguisement de carnaval. Lardin s'est arrangé pour se trouver là aussi, avec Semacgus, car il faut un témoin à cette querelle. Descart arrive, la provocation a lieu, il y a lutte et Lardin en profite pour arracher un morceau de la poche du vêtement de Descart qui pourra constituer dans l'avenir une utile présomption. Le médecin fuit, Lardin le suit de près...
- Et Descart ? demanda M. de Sartine.
— Il va disparaître dans la nuit et regagner sa demeure où il vit en solitaire. Accusé, il n'aurait pu compter sur aucun témoignage ni alibi.
— On a vraiment l'impression que vous étiez là, monsieur.
— Encore une fois, monsieur, votre police est bien faite. Je poursuis. Pendant cette querelle, deux malfaiteurs stipendiés par Lardin, Rapace, un ancien boucher, et Bricart, un soldat invalide, assomment Saint-Louis, l'égorgent dans la voiture de Semacgus, puis, sur les bords du fleuve, découpent le corps enmorceaux qu'ils déposent dans des tonneaux. Ils portent le tout à Montfaucon où, sous les yeux d'un témoin, ils l'abandonnent avec les vêtements du commissaire et sa canne. La neige, tombée plus tard à La Villette qu'à Paris, recouvre les restes.
— Comment pouvez-vous en être sûr ? Ce n'est pas ce que j'ai lu sur les rapports.
— Sur les rapports vous avez lu ce que les témoins ont bien voulu dire. En fait, je suis en mesure d'affirmer que le corps trouvé à Montfaucon était bien celui de Saint-Louis.
Nicolas sortit de sa poche un carton. Il s'approcha d'un des flambeaux et tint l'objet au-dessus de la flamme. Le papier se colora aussitôt d'une tache de noir de fumée.
— C'est ainsi, dit-il, que j'ai tout compris, un soir que je considérais la flamme de ma chandelle noircir la poutre au-dessus de ma tête.
— Vos propos, monsieur, deviennent si abscons que je me mets à douter de la cohérence de votre raisonnement. Expliquez-vous.
— C'est très simple. Vous vous rappelez cette tache noire trouvée sur le crâne de Montfaucon. Elle m'avait d'autant plus intrigué que notre témoin sur les lieux, la vieille Émilie, avait vu Rapace et Bricart battre le briquet et faire brûler quelque chose.
Il se tourna vers Semacgus.
— Monsieur, quel âge avait votre serviteur ?
— Dans les quarante-cinq ans, autant que l'on puisse savoir avec un Africain.
— Dans la force de l'âge, donc ?
— Assurément.
— Il était chauve ?
— En dépit de son nom, emprunté à son lieu de naissance, Saint-Louis était demeuré mahométan.C'est pourquoi il gardait le crâne rasé avec, juste au milieu, une mèche de cheveux par laquelle, disait-il, son Dieu pourrait le tirer au jour de sa mort.
— Nous savons tous que le commissaire Lardin était chauve sous sa perruque, reprit Nicolas. Si l'on voulait faire passer le corps de Saint-Louis pour celui de Lardin, il fallait que cette mèche distinctive disparût ! Aussi fut-elle brûlée. Mais une trace noire subsistait qui attira mon attention.
— Mais, reprit Sartine, l'homme était noir...
— C'est précisément pourquoi il fallait le porter au Grand
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