L'énigme des blancs manteaux
Équarrissage où, rongé et dévoré par des hordes de rats, d'oiseaux de proie et de chiens errants, il n'aurait plus figure humaine, ni peau sur les os. Et, pourquoi croyez-vous que la mâchoire ait été fracassée et les dents dispersées ? Parce que la dentition du commissaire Lardin était fort mauvaise, au contraire de celle de Saint-Louis dont le sourire éclatant est encore dans la mémoire de ceux qui ont connu ce serviteur fidèle. Mais il fallait qu'on pût identifier le corps, d'où la présence des habits et des objets ayant appartenu au Commissaire Lardin.
M. de Sartine hocha la tête en silence, avant de demander :
— Et l'assassinat du docteur Descart ?
— J'y viens, monsieur Le docteur Descart a été trouvé mort à la porte de son domicile, une lancette de saignée plongée dans le cœur. C'est du moins ce que l'assassin souhaitait que l'on crût. Je répète, en effet, que la victime n'a pas été tuée à la porte de sa demeure et que la lancette n'était pas plantée dans le cœur, mais à côté, et que la blessure constatée n'était pas la cause de la mort. Un homme de l'art...
Il se tourna vers la cheminée où seule l'ombre de Sanson était visible.
— ... a démontré savamment que le docteur, loin de mourir poignardé, avait été empoisonné, puis étouffé par un carreau. De cela nous en sommes certains. Mais qui avait intérêt à la mort de Descart ?
Il s'approcha de Semacgus qui regardait le sol.
— Vous, docteur. Vous étiez l'exact opposé de Descart. Votre manière de vivre et votre liberté de ton contrastaient avec sa dévotion hypocrite. Vous me direz que ce n'est pas une raison pour le tuer. Mais à ces considérations s'ajoute votre rivalité. Vous étiez les tenants de deux chapelles médicales opposées ; on sait ce que les querelles entre écoles propagent de haines. Outre cela, Descart vous menaçait dans vos intérêts. Vous couriez le risque d'être interdit en tant que médecin, n'étant que chirurgien de marine. C'est toute votre vie qui en eût été bouleversée. Qui plus est, vous étiez rivaux dans ce que les convenances m'obligent d'appeler l'affection de Louise Lardin. Il vous avait surpris avec elle. Je sais bien que vous prétendez avoir découvert le corps, mais rien ne prouve que vous n'êtes pas arrivé quelques instants plus tôt et que vous n'avez pas perpétré ce crime. Vous rentrez à votre domicile, laissant le temps à votre complice aux petits pieds de... disons... organiser la mise en scène.
M. de Sartine laissa échapper un léger soupir de soulagement.
— Vos mensonges perpétuels ne plaident pas en votre faveur, Semacgus, poursuivit Nicolas. Vous êtes suspect, mais trop de présomptions tuent la preuve. Tout concourt à vous accuser. Or, dans cette mise en scène, bien des choses rappellent la nature morte arrangée de Montfaucon. La vérité tient peut-être à un mensonge dissimulé.
Semacgus ne parvenait pas à maîtriser le tic nerveux qui agitait l'une de ses paupières.
— Votre chance, c'est justement cette convocation du docteur Descart qui n'a, à bien y réfléchir, aucune justification. C'est un papier déchiré, non daté, non signé, qui ne porte aucune adresse et qui a été acheminé à votre demeure dans de bien étranges conditions. Je ne prétends pas qu'il s'agisse d'un faux ; il est bien de la main du docteur. Mais je soutiens qu'il s'agit d'un fragment d'une lettre adressée par Descart à sa maîtresse Louise Lardin, et que son contenu a été détourné pour convoquer le docteur Semacgus dans la maison de Vaugirard. Cela signifie, monsieur, que j'accuse Mme Lardin du meurtre de son cousin Descart.
— Nul doute, monsieur Le Floch, dit Sartine, que cette vigoureuse affirmation va être immédiatement suivie d'une démonstration concluante, car vous passez bien rapidement d'un coupable à un autre...
— Rien de plus aisé, en effet. Pourquoi Louise Lardin est-elle suspecte dans le meurtre de son cousin ? Réfléchissons avec elle. Je suis assuré que le complot du Dauphin couronné a été préparé et conçu par Lardin en plein accord avec sa femme. Mais le commissaire ignore un fait que Louise Lardin a découvert par hasard. Je n'ai aucun mérite à l'avoir appris, il m'a suffi de presser un peu la discrétion de M e Duport, notaire à la fois, il faut le souligner, de Lardin et de Descart. Celui-ci m'a affirmé avoir appris à Mme Lardin, ce qu'il avait regretté aussitôt vu les réactions de la
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