L'énigme des blancs manteaux
encore partagé. Il n'était rien, et son expérience parisienne lui avait enseigné que la naissance et la richesse l'emportaient toujours sur tout. Ses pauvres talents ne pesaient pas bien lourd.
La vieille forteresse, tapie au milieu des eaux et des arbres, était maintenant à portée de voix. Nicolas franchit un premier pont de bois qui le mena dans la barbacane, protégée de deux tours. Il laissa son cheval aux écuries, puis s'engagea sur un promontoire de pierre jusqu'au pont-levis. Par rapport à la masseénorme de l'édifice, le portail d'entrée était plutôt étroit — vestige des précautions anciennes qui voulaient qu'un cavalier ne puisse entrer à cheval à l'intérieur. La cour centrale, vaste et pavée, donnait toute sa dignité au corps de bâtiment flanqué de deux tours gigantesques qui en occupaient le fond.
Midi sonna à la chapelle. Nicolas, qui avait ses habitudes au château, poussa la lourde porte de la grande salle du logis. Une jeune fille blonde, simplement vêtue d'une robe verte à col de dentelle, travaillait assise près de la cheminée. Au bruit que fit Nicolas en entrant, elle leva la tête de son ouvrage.
— Vous m'avez fait peur, mon père, s'écria-t-elle sans se retourner. La chasse a-t-elle été bonne?
Comme personne ne répondait, elle s'inquiéta.
— Qui êtes-vous ? Qui vous a permis d'entrer?
Nicolas repoussa la porte et ôta son chapeau. Elle poussa un petit cri et réprima l'élan qui la portait vers lui.
— Je vois, Isabelle, que désormais je suis bien un étranger à Ranreuil.
— Comment, monsieur, c'est vous? Vous osez vous présenter, après ce que vous avez fait !
Nicolas eut un geste d'incompréhension.
— Qu'ai-je fait, sinon vous faire confiance, Isabelle ? Il y a quinze mois, j'ai dû obéir à votre père et à mon tuteur, et partir sans vous revoir. Vous étiez, paraît-il, à Nantes, chez votre tante. C'est ce que l'on m'a dit. Je suis parti, et depuis tant de mois, seul à Paris, pas un mot, pas une réponse à mes lettres.
— Monsieur, c'est moi qui devrais me plaindre.
La colère de Nicolas montait devant tant d'injustice.
— Je pensais que vous m'aviez donné votre foi. J'étais bien stupide de croire une infidèle, une...
Il s'arrêta, à bout de souffle. Isabelle le regardait pétrifiée. Ses yeux, couleur de mer, s'emplirent de larmes, de colère ou de honte, il ne savait.
— Monsieur, vous me paraissez bien habile à inverser les rôles.
— Votre ironie me touche, mais l'infidèle, c'est vous qui me fîtes partir.
— Infidèle, comment et pourquoi ? Ces propos me dépassent. Infidèle...
Nicolas se mit à arpenter la pièce, puis s'arrêta soudain devant le portrait d'un Ranreuil qui le considérait sévèrement dans son cadre ovale.
— Tous les mêmes, depuis des siècles..., grommela-t-il entre ses dents.
— Que dites-vous là et de quelle conséquence cela peut-il être? Croyez-vous qu'il va vous répondre, monsieur le soliloqueur, et descendre de son cadre?
Isabelle lui parut soudain frivole et détachée.
— Infidèle, oui, vous. Infidèle, répéta sombrement Nicolas en s'approchant d'elle.
Il la dominait, fou de rage, le sang au visage, les poings serrés. Elle eut peur et éclata en sanglots. Il revit la petite fille qu'il consolait de ses peines d'enfant et sa fureur l'abandonna.
— Isabelle, que nous arrive-t-il ? demanda-t-il en lui prenant la main.
La jeune fille se blottit contre lui. Il prit ses lèvres.
— Nicolas, bégayait-elle, je t'aime. Mais mon père m'avait dit que tu allais te marier à Paris. Je n'ai pas voulu te revoir. J'ai fait répondre que j'étais à Nantes, chez ma tante. Je ne pouvais croire que tu avais violé notre serment. J'étais perdue.
— Comment as-tu pu croire une chose pareille ?
La douleur qui le tenaillait depuis tant de moisse dissipa soudain dans une bouffée de bonheur. Il serra tendrement Isabelle contre lui. Ils n'entendirent pas la porte s'ouvrir.
— Cela suffit ! Vous vous oubliez, Nicolas..., fit une voix dans son dos.
C'était le marquis de Ranreuil, son fouet de chasse à la main.
Un instant, les trois personnages parurent figés comme des statues. Était-ce le temps qui s'était arrêté ? Était-ce cela, l'éternité ? Puis, tout se remit en marche. Nicolas conserverait de cette scène un souvenir atroce qui allait désormais hanter ses nuits. Il lâcha Isabelle et, lentement, fit face à son parrain.
Les deux hommes étaient de la même
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