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L'énigme des blancs manteaux

Titel: L'énigme des blancs manteaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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sentit celle du bourreau trembler dans la sienne. Son mouvement avait été instinctif; il avait éprouvé une sorte de solidarité avec un garçon de son âge qui, certes, exerçait un terrible emploi, mais qui participait avec lui du service du roi et de sa justice.
    — Je crois pouvoir vous être utile, dit Sanson. Il se trouve que, dans ma famille, et pour des raisons que vous comprendrez, nous sommes versés dans l'étude et la connaissance des corps humains. Nous soignons à l'occasion, et redressons les membres démis. Moi-même, dans une circonstance atroce, qui me valut d'ailleurs plusieurs heures de cachot et contraignit mon oncle Gilbert, bourreau de Reims, à résigner sa charge, j'ai appris à mes dépens l'utilité de cette science.
    Il ajouta avec un sourire triste :
    — Les gens se font une curieuse idée du bourreau. Pourtant, ce n'est qu'un homme comme les autres, contraint par son état à de plus grands devoirs et à une plus grande rigueur.
    — De quelle atroce circonstance parlez-vous, monsieur? demanda Nicolas, intrigué.
    — De l'exécution du régicide Damiens en 1757 13 .
    Nicolas revit en un éclair la gravure de son enfance représentant le supplice de Cartouche.
    — En quoi cette exécution différa-t-elle des autres ?
    — Hélas, monsieur. Il s'agissait d'un homme qui avait porté la main sur la personne sacrée de SaMajesté. Il était passible de supplices particuliers observés en cette occurrence. Je nous revois, mon oncle et moi, revêtus, comme c'est l'usage, de la tenue des exécuteurs. Nous avions la culotte bleue, la veste rouge brodée d'une potence et d'une échelle noires avec le bicorne incarnat sur la tête et l'épée au côté. Nos quinze valets et aides étaient revêtus, eux, de tabliers de cuir fauve.
    Il s'interrompit un moment comme s'il laissait venir à lui des souvenirs très lointains.
    — Sachez, monsieur, que Damiens — que Dieu ait son âme, il a par trop souffert — non seulement avait tenté de se suicider en se tordant les parties naturelles, mais, en préalable de son exécution, dut subir la question ordinaire et extraordinaire, dans cette même salle. On souhaitait qu'il dénoncât ses complices, mais d'évidence il n'en avait pas et ne faisait que répéter : « Je n'ai pas eu l'intention de tuer le roi, sinon je l'aurais fait. Je n'ai porté le coup que pour que Dieu le touche et l'engage à remettre toutes choses en place et la tranquillité dans ses États. » Jamais il ne fit allusion à autre chose, et pourtant il avait l'estomac distendu par les eaux, les chevilles brisées par les brodequins et la poitrine et les membres brûlés par les fers rougis au feu. Il ne pouvait plus faire un geste ni se tenir debout.
    Nicolas écoutait, fasciné, le récit que ce jeune homme, qui sans doute serait passé inaperçu dans la rue, faisait d'une voix douce. Il donnait à la fois l'impression de prendre une grande distance avec son récit, tout en trahissant son émotion par le tremblement de ses mains et les gouttes de sueur qui lui perlaient au front.
    — Arrivé place de Grève et étendu sur l'échafaud, Damiens eut à subir la peine des régicides. Lamain qui avait tenu le canif criminel fut consumée au-dessus d'un brasero de soufre ardent. Il redressa la tête et poussa un hurlement en considérant son moignon. Il supporta ensuite les tenailles. Celles-ci arrachaient des morceaux de chair, laissant d'horribles plaies sur lesquelles étaient versés le plomb fondu, la poix enflammée et le soufre en fusion. Messieurs, il hurlait, écumait et même, dans l'excès de ses douleurs, criait: « Encore! Encore! » Je revois ses yeux qui semblaient sortir de ses orbites.
    Sanson se tut un instant ; il avait la gorge serrée.
    — Je ne sais pourquoi je vous raconte tout cela, reprit-il difficilement, je n'en avais jamais parlé à personne. Mais nous sommes du même âge et je sais M. Bourdeau homme d'honneur et de probité.
    — Nous sommes sensibles, monsieur, à votre confiance, dit Nicolas.
    — Le pire cependant était à venir. Le supplicié fut placé sur deux madriers cloués en forme de croix de Saint-André. On lui enserra étroitement le buste entre deux planches, elles-mêmes fixées à la croix afin d'éviter qu'aucun des chevaux attachés à chacun de ses membres ne puisse le tirer en entier. Il s'agissait, vous le devinez, de procéder à l'écartèlement.
    Sanson s'appuya sur un fauteuil et s'essuya le front.
    — Un aide armé d'un

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