L'énigme des vampires
la victime sacrificielle de cet exorcisme du vampire. Mais c’est
surtout Jonathan Harker, fiancé, puis mari de Mina, qui est le témoin
privilégié des agissements de Dracula, témoin essentiel sans lequel la chasse
au vampire n’aurait aucune chance d’aboutir. C’est un homme de loi qui a la
tête sur les épaules. Mais, mis en présence du monstre, il ne peut qu’admettre,
contraint et forcé, ce qu’il considère au fond de lui-même comme parfaitement
incroyable et surnaturel. Ayant pu échapper aux crocs des vampires, il s’en
faut de peu que sa raison ne chavire, et il ne doit sa guérison qu’à l’amour de
Mina. Il est le seul à connaître Dracula, le seul qui puisse le dépister. C’est
un des personnages clés de cette histoire.
Deux autres hommes sont à mettre à part. L’un est ce mystérieux
Renfield, un malade mental soigné par John Seward et pensionnaire de sa
clinique psychiatrique. Supérieurement intelligent mais atteint d’une
mystérieuse morbidité qui le pousse à chasser et à manger des araignées ou des
mouches vivantes, il est un étonnant symbole de l’ambiguïté de l’être humain à
mi-chemin entre l’ange et le démon. Par sa sensibilité médiumnique, il perçoit
les faits et gestes du vampire sans être toutefois sous l’emprise directe du
monstre. Ce n’est que vers la fin de l’histoire qu’il succombera au pouvoir
magnétique de Dracula, faisant entrer celui-ci dans la clinique : et l’on
sait qu’un vampire ne peut pénétrer la première fois dans une maison sans y avoir
été invité par l’un des habitants. Est-il complice de Dracula ? Oui et non.
Mais on a bien tort de ne pas prendre au sérieux les avertissements voilés que
lance Renfield au groupe des exorcistes.
Il reste un dernier personnage, le professeur néerlandais
Abraham van Helsing. C’est le deus ex machina de toute l’affaire, en quelque sorte le double idéalisé de Bram Stoker, le
pourfendeur de monstres, héros de lumière qui, tel saint Michel terrassant le
dragon (sans le tuer), entreprend une quête sans fin contre les puissances des
Ténèbres. C’est un médecin, un psychologue, un scientifique, mais qui ne craint
pas de pénétrer dans les « domaines interdits » qui sont ceux de la
parapsychologie et du suprasensible, car, passionné par l’énigme, il accumule (comme
Bram Stoker) une masse d’informations sur l’inexplicable et, grâce à cette
connaissance, prétend délivrer l’humanité du fléau qui la menace. Il a
nettement un aspect « messianique » [9] , ce qui en fait une
figure à part dans la galerie des témoins. Car, au lieu d’être passif devant
des événements inexplicables, il tente de comprendre et alimente de sa ténacité
une action qui ne peut désormais être interrompue : détruire, sinon tous
les vampires, du moins le plus dangereux d’entre eux, Dracula. Et, pour ce faire,
il fait appel aux ressources de la religion chrétienne, seule capable, dans le contexte européen , de contrer les
entreprises diaboliques de Dracula. Et, dans ce domaine, il se comporte en
parfait œcuméniste, puisque, calviniste lui-même, il n’hésite pas à utiliser le
rituel catholique, notamment la présence divine dans l’eucharistie. Prophète de
malheur, bien conscient des dangers du vampirisme, un peu Cassandre sur les
bords, il fait penser à un ange incarné parmi les hommes pour leur enseigner à
se défendre des ruses ourdies par les démons. Et pourtant, il a toutes les
faiblesses des êtres humains. C’est dire que le personnage est particulièrement
attachant.
C’est donc à travers une confrontation de témoignages provenant
de ces personnages que l’action est présentée. En fait, au début, l’action est
double : les lettres de Lucy et de Mina font état de petits drames
intérieurs dans l’exacte tonalité britannique, victorienne, de cette fin de
siècle. Lucy a deux prétendants passionnément amoureux d’elle, le docteur John
Seward et Arthur Holmwood. C’est Arthur qu’elle choisira ; mais John fera
taire toute jalousie et se montrera l’ami le plus fidèle et le plus
désintéressé de Lucy et d’Arthur. On se trouve plongé non seulement dans la bonne société , mais encore dans un milieu où la
morale et les sentiments les plus altruistes sont respectés et mis en pratique,
dans une sorte de cohorte angélique destinée à lutter contre les démons
échappés de l’Enfer. Ce manichéisme puéril est peut-être
Weitere Kostenlose Bücher