L'énigme des vampires
proche de celui de Dracula , et, de plus,
les personnages mis en scène offrent, dans certains cas, des analogies
frappantes avec le type de héros maudit si brillamment décrit par Bram Stoker.
Au reste, Dracula n’est pas
le premier roman écrit et publié, en Grande-Bretagne ou ailleurs, où il soit
question d’un mort-vivant sortant de sa tombe, la nuit, pour s’abreuver du sang
de ses victimes, condamnant de ce fait celles-ci au dépérissement et à la mort,
voire à l’état de vampires puisque le vampirisme est une sorte de virus qui se
transmet par la morsure sanglante, d’où une subtile problématique sur les
rapports mystérieux qui peuvent exister entre le bourreau et sa victime qui, dans
certains cas, peut devenir sa ou son complice. Cette problématique a été
largement développée dans la littérature comme dans le cinéma, et un film comme Portier de nuit , de Liliana Cavani, bien que
situé dans le cadre précis des retombées du nazisme, n’est pas sans évoquer ce
qu’on pourrait appeler la psychose, ou plutôt la névrose, vampirique . Mais il faut bien dire qu’avant le Dracula de Bram Stoker, le Vampire, qu’il soit un
noble personnage des Carpates, un homme errant, un suppôt de Satan, une belle
comtesse ou une horrible « goule », comme dans la tradition musulmane,
ne faisait guère recette. Byron s’était essayé sur le thème, mais son « Lord
Ruthen » qu’il abandonna et qui fut repris par son ami Polidori dans une
nouvelle intitulée the Vampire , demeura une
simple curiosité intellectuelle, d’ailleurs saluée par le grand Goethe qui
avait lui-même, dans son Braut von Korinth , attiré
l’attention sur la légende des vampires. Il en fut de même pour un ouvrage de
Charles Nodier, dont l’attirance pour le fantastique ne s’est jamais démentie, et
pour un drame d’Alexandre Dumas. Seul, le Vampire, ou
le festin de sang , de Thomas Preskett Prest, publié en 1847 et réédité
en 1853, obtint une audience plus large et contribua à répandre dans le public
un thème apparemment étranger à la tradition européenne occidentale. Ainsi donc,
Bram Stoker n’innovait pas et se montrait le digne continuateur de plusieurs
générations d’écrivains hantés par le fantastique.
Est-ce à dire que le vampire est une création littéraire, un
personnage de la tradition littéraire sans aucun lien avec des croyances, des
rites et des légendes appartenant à la mémoire des peuples ? Non, absolument
pas. Si le Dracula de Bram Stoker demeure le modèle littéraire du thème, le
stéréotype en quelque sorte, il n’est qu’une expression, une matérialisation , d’un thème beaucoup plus ancien qui,
au fur et à mesure qu’on peut l’analyser, se révèle un mythe authentique véhiculé à travers le monde entier
sous des aspects divers selon les cadres socioculturels dans lesquels il
devient un personnage concret. À ce compte, Dracula n’est qu’un aspect, parmi
beaucoup d’autres, d’un mythe fondamental récupéré par la littérature.
Ce n’est d’ailleurs pas le seul exemple de cette sorte. La
littérature dite de fiction (mais il en est de même pour la dramaturgie, comme
en témoigne la tragédie racinienne) n’est en réalité que l’exploitation de
thèmes mythologiques répercutés de génération en génération par la voie (et la
voix) populaire. Et il est bien certain que c’est la seule littérature, érudite
et élitiste, qui ait quelque chance d’obtenir un impact populaire : les
mythes fondamentaux parlent en effet à l’inconscient collectif et y trouvent
des résonances que ne pourraient avoir des inventions pures et simples. Balzac
en constitue la preuve évidente, lui qui bâtit son système romanesque sur une
adaptation – géniale encore que maladroite à cause d’un abus descriptif – de
schémas dramatiques présents dans la mémoire ancestrale. Ainsi, lorsqu’il nous
présente le personnage complexe de Vautrin, qu’on s’obstine à réduire au Vidocq
historique, il ne fait que reprendre, dans un contexte particulier au siècle
dans lequel il vit et dans lequel il s’exprime, le personnage médiéval du
Diable, le Tentateur, l’empêcheur de tourner en rond, mais aussi le parodique « Roi
du Monde », maître des illusions, et contrefacteur de la création divine. Un
épisode comme celui qui prend place dans le Père
Goriot , où Vautrin expose son plan de déstabilisation universelle à
Eugène de Rastignac en
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