L'ennemi de Dieu
furie. Cette colère n’avait rien
à voir avec la rage qui l’avait consumé à Lugg Vale, lorsque Gorfyddyd moribond
avait traité Guenièvre de putain, mais elle n’en était pas moins terrifiante. « Fichez
le camp ! cria-t-il aux petits-fils de Tanaburs. Cette rencontre n’intéresse
que les seigneurs. Et vous aussi, fit-il en désignant ses fils, filez ! »
Il attendit que la suite de Lancelot se fût retirée, puis se retourna vers le
roi de Silurie : « Qu’avez-vous fait ? » demanda-t-il une
troisième fois d’une voix amère.
Blessé dans sa
dignité, Lancelot se raidit : « J’ai fait la paix, dit-il d’un ton
acerbe. J’ai empêché Cerdic de vous attaquer. J’ai fait ce que j’ai pu pour
vous aider.
— En
fait, répéta Arthur d’une voix contrariée, mais si faible qu’aucun homme de l’entourage
de Cerdic ne put l’entendre, vous avez fait le jeu de Cerdic. Nous venons de
détruire à moitié Aelle, alors que devient Cerdic au bout du compte ? Cela
le rend deux fois plus puissant. Voilà le résultat ! Les Dieux nous aident ! »
Sur ce, il lança ses rênes à Lancelot – ce qui était une manière subtile
de l’offenser – puis se laissa glisser de son cheval, remit de l’ordre
dans son manteau blanc froissé et fixa les Saxons d’un air impérieux.
C’était la
première fois que je rencontrais Cerdic. Et bien que tous les bardes l’aient
dépeint sous les traits d’un démon aux sabots fendus et venimeux comme un
serpent, c’était en vérité un petit homme plutôt frêle qui ramenait ses fins
cheveux blonds en chignon dans la nuque. Il avait la peau très claire avec un
front large et un menton étroit rasé de près, des lèvres minces, un nez en lame
de couteau et des yeux aussi clairs que l’eau dans la brume du matin. Aelle
portait ses émotions sur son visage, mais au premier coup d’œil je doutai que
son sang-froid laisse jamais son expression trahir ses pensées. Il portait un
plastron romain, un pantalon de laine et un manteau de renard. Sa tenue était
particulièrement soignée et sobre : en vérité, n’était l’or de sa gorge et
de ses poignets, je l’aurais sans doute pris pour un scribe. Si ce n’est que
ses yeux n’étaient pas ceux d’un clerc : ces yeux pâles ne laissaient rien
échapper et ne livraient rien. « Je suis Cerdic », fit-il à voix
basse.
Arthur fit un
pas de côté afin que Cuneglas pût se présenter, puis Meurig insista pour
prendre part à la conférence. Cerdic jeta un coup d’œil aux deux hommes, les
jugea insignifiants, puis se retourna vers Arthur. « Je t’apporte un
cadeau », reprit-il en tendant la main vers le chef qui l’accompagnait. L’homme
sortit un couteau au manche en or que Cerdic offrit à Arthur.
« Le
cadeau, répondis-je en traduisant les mots d’Arthur, devrait aller à notre
Seigneur Roi Cuneglas. »
Cerdic posa la
lame nue sur sa paume gauche et renferma les doigts dessus, sans jamais quitter
Arthur des yeux. Quand il rouvrit la main, il y avait du sang sur la lame. « C’est
un cadeau pour Arthur », insista-t-il.
Cerdic sourit.
D’un sourire hivernal : ainsi qu’un loup devait apparaître à un agneau
égaré. « Dis au seigneur Arthur qu’il m’a fait le don de la paix, me
pria-t-il.
— Mais
supposez que je choisisse la guerre ? demanda Arthur d’un air de défi. Ici
et maintenant ! » Il fit un geste en direction de la colline où nos
lanciers s’étaient maintenant rassemblés, si bien que nos effectifs étaient
maintenant au moins égaux à ceux de Cerdic.
« Dis-lui,
m’ordonna Cerdic, que ce ne sont pas tous mes hommes – il tendit la main
vers son mur de boucliers – et dis-lui aussi que le roi Lancelot m’a offert
la paix au nom d’Arthur. »
Je répétai ces
mots à Arthur. Je vis un muscle de sa joue se crisper, mais il réussit à
contenir sa colère. « Dans deux jours, répondit Arthur, et ce n’était pas
une suggestion mais un ordre, nous nous retrouverons à Londres. Là-bas, nous
discuterons de la paix. » Il fourra le couteau ensanglanté dans sa
ceinture et, quand j’eus fini de traduire ses paroles, il me fit signe de le
suivre. Sans attendre la réponse de Cerdic, il m’entraîna au sommet de la
colline pour nous mettre hors de portée d’oreille des délégations. Il remarqua
ma blessure pour la première fois :
« Tu es
blessé ?
— C’est
pas grave. Ça guérira. »
Il s’arrêta,
ferma les
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