L'ennemi de Dieu
m’appréciait. De fait, sa colère
passée, il mit le bras sur mon épaule pour m’entraîner sur les remparts.
« Que
veut Arthur ? m’avait-il demandé.
— La
paix, Seigneur Roi. »
Son bras
pesait sur mon épaule blessée, mais je n’osais protester.
« La paix ! »
Il avait craché le mot comme une bouchée de viande avariée, mais sans le mépris
avec lequel il avait toujours repoussé l’offre de paix d’Arthur avant Lugg
Vale. Il est vrai qu’il était plus fort à cette époque et qu’il était en
position d’exiger un prix plus élevé. Désormais, il était humilié, et il le
savait.
« Nous
autres, Saxons, expliqua-t-il, nous ne sommes pas faits pour la paix. Nous nous
nourrissons des céréales de nos ennemis, nous nous habillons de leurs laines,
nous trouvons notre plaisir auprès de leurs femmes. Que nous apporte la paix ?
— Une
chance de reconstituer vos forces, Seigneur Roi, sans quoi c’est Cerdic qui
mangera vos grains et prendra vos laines. »
Aelle avait
souri : « Il a toujours aimé les femmes, lui aussi. » Puis il
avait retiré son bras de mon épaule pour regarder les champs qui s’étendaient
au nord. « Il me faudra abandonner de la terre, grommela-t-il.
— Mais si
vous choisissez la guerre, Seigneur Roi, le prix sera encore plus fort. Vous
devrez affronter Arthur et Cerdic et, pour finir, vous n’auriez sans doute plus
de terre qu’un carré d’herbe au-dessus de votre tombe. »
Il s’était
retourné pour me lancer un regard malicieux : « Arthur ne souhaite la
paix que pour me voir combattre Cerdic à sa place.
— Naturellement,
Seigneur Roi. »
Il rit de ma
franchise.
« Et si
je ne vais pas à Londres, il me traquera comme un chien.
— Comme
un gros sanglier, Seigneur Roi, dont les défenses sont encore acérées.
— Tu
parles comme tu combats, Derfel. C’est bien. » Il avait ordonné à ses
magiciens de préparer un cataplasme de mousse et de toiles d’araignées qu’ils m’appliquèrent
sur l’épaule tandis qu’il réunissait son Conseil. La consultation ne dura pas
longtemps, car Aelle savait qu’il n’avait guère le choix. Le lendemain matin,
je pris donc la route romaine avec lui pour rejoindre la ville. Il insista pour
se faire accompagner d’une escorte de soixante lanciers. « Libre à vous de
faire confiance à Cerdic, me dit-il. Mais jamais il n’a tenu aucune de ses
promesses. Dis-le bien à Arthur.
— Vous le
lui direz vous-même, Seigneur Roi. »
Aelle et
Arthur se rencontrèrent en secret la veille des négociations avec Cerdic. C’est
cette nuit-là qu’après force chicanes ils conclurent une paix séparée. Aelle
céda beaucoup. Il abandonna de grandes étendues de terre sur sa frontière ouest
et accepta de restituer à Arthur tout l’or qu’il lui avait donné l’année
précédente et davantage encore. En contrepartie, Arthur lui promit quatre
pleines années de paix et son soutien si Cerdic se montrait récalcitrant le
lendemain. La paix scellée, ils s’embrassèrent. Alors que nous regagnions notre
campement, devant le mur ouest de la ville, Arthur hocha tristement la tête :
« On ne
devrait jamais rencontrer un ennemi en tête à tête, me confia-t-il. En tout
cas, pas si l’on sait qu’il faudra le détruire un jour. Ce qui arrivera
forcément, à moins que les Saxons ne se soumettent à notre gouvernement. Ce qu’ils
ne feront pas. Jamais.
— Et
pourquoi pas ?
— Les
Saxons et les Bretons ne se mélangent pas, Derfel.
— Je me
mélange bien, moi, Seigneur. »
Il rit. « Mais
si ta mère n’avait jamais été capturée, Derfel, tu aurais été élevé en Saxon,
et tu ferais probablement partie de l’armée d’Aelle à l’heure qu’il est. Tu
serais un ennemi. Tu adorerais ses dieux, partagerais ses rêves, et tu voudrais
notre terre. Ils ont besoin d’espace, ces Saxons. »
Mais au moins
avions-nous réussi à parquer Aelle. Et c’est le lendemain, dans le grand palais
qui s’élevait au bord du fleuve, que nous retrouvâmes Cerdic. Le soleil
brillait ce jour-là, étincelant sur le canal où le Gouverneur de Bretagne
amarrait autrefois sa barge. L’éclat du soleil masquait l’écume et la boue qui
encrassaient aujourd’hui le canal, mais rien ne pouvait couvrir la puanteur de
ses égouts.
Cerdic
commença par réunir son Conseil. Nous autres, Bretons, nous étions réunis dans
une pièce qui donnait sur l’eau, dont les reflets chatoyants
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