L'ennemi de Dieu
et Cuneglas de former un mur de
boucliers, mais un mur dangereusement petit, car la plupart de nos hommes
étaient encore occupés à traquer les guerriers d’Aelle ou à mettre son
campement à sac en quête de vivres.
Ceux d’entre
nous qui étaient restés au sommet de la colline se préparaient à livrer une
nouvelle bataille. Le choc promettait d’être rude, car notre mur réuni à la
hâte était beaucoup plus modeste que la ligne de Cerdic. À ce moment-là,
naturellement, nous ne savions pas encore que c’était l’armée de Cerdic. Au départ,
nous crûmes à des renforts d’Aelle arrivés trop tard, et l’étendard qu’ils
brandissaient, un crâne de loup peint en rouge et auquel pendait la peau tannée
d’un mort, ne représentait rien pour nous. D’ordinaire, la bannière de Cerdic
était faite d’une double queue de cheval attachée à un fémur fixé en croix à
une hampe, mais ses magiciens avaient imaginé ce nouveau symbole qui nous
laissa un temps perplexes. D’autres hommes abandonnèrent leur poursuite pour
venir épaissir notre mur tandis qu’Arthur ramenait ses cavaliers au sommet de
la colline. Il remonta nos rangs au trot et je me souviens que son manteau
blanc était maculé de sang. « Ils mourront comme les autres ! »
lança-t-il pour nous encourager, tenant à la main son Excalibur encore
dégoulinante de sang. « Ils mourront comme les autres. »
Puis, de même
que l’armée d’Aelle s’était ouverte pour laisser son chef sortir des rangs,
cette nouvelle force saxonne s’ouvrit et leurs chefs s’avancèrent vers nous :
trois à pied, mais six à cheval, qui gourmaient leur monture pour suivre le pas
de leurs camarades. L’un des hommes à pied portait la sinistre bannière à tête
de loup, puis l’un des cavaliers leva un second étendard, et un cri de stupeur
parcourut nos rangs. À ce cri, Arthur fit se retourner son cheval et fixa
consterné les hommes qui approchaient.
Car le nouvel
étendard représentait un pygargue avec un poisson dans ses serres. C’était le
drapeau de Lancelot. Mais je le voyais bien maintenant : Lancelot lui-même
faisait partie des six cavaliers. Il avait fière allure dans son armure
émaillée de blanc et son casque aux ailes de cygne, flanqué des jumeaux d’Arthur,
Amhar et Loholt. Dinas et Lavaine, dans leurs robes de druide, chevauchaient
derrière, tandis qu’Ade, la maîtresse rousse de Lancelot, portait l’étendard du
roi de Silurie.
Sagramor était
venu se placer à côté de moi et il me jeta un coup d’œil en coin pour s’assurer
que je voyais bien ce qu’il voyait, puis il cracha sur la lande.
« Malla
est-elle sauve ? lui demandai-je.
— Saine
et sauve », répondit-il, ravi que je lui eusse posé la question.
Puis il fixa
de nouveau Lancelot qui approchait : « Comprends-tu ce qui se passe ?
— Non. »
Personne n’y
comprenait goutte. Arthur rangea Excalibur au fourreau et se tourna vers moi. « Derfel ! »
lança-t-il, désirant que je lui serve de traducteur, puis il fit signe à ses
autres chefs au moment même où Lancelot se détachait de la délégation pour nous
rejoindre au galop sur la lande.
« Alliés »,
cria Lancelot. Il fit un geste de la main à l’adresse des Saxons. « Alliés »,
cria-t-il de nouveau tandis que sa horde se rapprochait d’Arthur.
Arthur ne dit
mot. Il se contenta de retenir Llamrei tandis que Lancelot s’efforçait de
calmer son grand étalon noir. « Alliés », dit Lancelot une troisième
fois. « Voilà Cerdic », ajouta-t-il tout excité, tendant la main vers
le roi saxon qui avançait vers nous d’un pas lent.
« Qu’avez-vous
fait ? demanda Arthur d’un ton posé.
— Je vous
ai apporté des alliés ! répondit allègrement Lancelot avant de me jeter un
coup d’œil. Cerdic a son traducteur, fit-il pour me congédier.
— Derfel
reste ! » trancha Arthur, sa voix trahissant une explosion de colère
soudaine et terrifiante. Puis il se souvint que Lancelot était roi et soupira :
« Qu’avez-vous fait, Seigneur Roi ? »
Dinas, qui
avait éperonné son cheval avec les autres cavaliers, fut assez sot pour
répondre à sa place : « Nous avons fait la paix, Seigneur !
fit-il de sa voix grave.
— Fichez
le camp ! » rugit Arthur, laissant les deux druides pantois devant
pareille fureur. Ils ne connaissaient que l’homme calme et patient, le conciliateur,
et ils étaient à mille lieues d’imaginer cette
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