L'ennemi de Dieu
« Au nom de Bel, commença-t-il d’une voix sonore, et de
Callyc, son seigneur des crapauds, au nom de Sucellos et de Horfael, son maître
des vers, au nom de...
— Qu’ils
seraient tués ! » hurla Mordred désespéré.
Merlin abaissa
lentement son bâton pour le pointer de nouveau sur le visage de Mordred.
« Il t’a
promis quoi, cher garçon ? » demanda Merlin.
Mordred se
tortillait sur sa chaise, mais il n’y avait pas moyen d’échapper au bâton. Il
déglutit, regarda à droite et à gauche, mais il n’avait aucun secours à
attendre des hommes présents dans la salle.
« Qu’ils
seraient tués par les chrétiens.
— Et
pourquoi désirais-tu cela ? » voulut savoir Merlin.
Mordred
hésita, mais Merlin brandit à nouveau son bâton, et le garçon cracha sa
confession : « Parce que tant qu’il vivra je ne serai jamais un vrai
roi !
— Tu
croyais que la mort d’Arthur te permettrait de te conduire à ta guise ?
— Oui !
— Et tu
as cru que Sansum était ton ami ?
— Oui.
— Et il
ne t’est jamais venu à l’idée que Sansum pouvait désirer ta mort à toi aussi ?
demanda Merlin en hochant la tête. Quel stupide garçon tu fais. Tu ne sais donc
pas que les chrétiens ne font jamais les choses honnêtement ? Même le
premier des leurs s’est cloué lui-même sur une croix. Ce n’est pas ainsi que
font les dieux efficaces, jamais de la vie. Merci à toi, Mordred, de notre
petite conversation. »
Il sourit,
haussa les épaules et s’éloigna. « Juste voulu donner un petit coup de
main », fit-il en passant à côté d’Arthur.
Il semblait
que Mordred fût déjà la proie des tremblements dont l’avait menacé Merlin. Il s’accrochait
aux bras de son siège, frémissant, les yeux inondés de larmes à cause de toutes
les humiliations qu’il venait de subir. Il essaya de retrouver un peu de sa
fierté en tendant le doigt vers moi et en exigeant qu’Arthur m’arrête.
« Soyez
pas idiot ! s’emporta Arthur. Vous croyez pouvoir récupérer votre trône
sans les hommes de Derfel ? » Mordred ne répondit rien, et ce silence
irrité eut le don de plonger Arthur dans une fureur comparable à celle qui m’avait
conduit à frapper le roi. « En revanche, on peut se passer de vous !
Et quoi qu’on fasse, vous resterez ici, sous bonne garde ! » Mordred
le regarda bouche bée. Une larme noya le mince filet de sang. « Non pas en
tant que prisonnier, Seigneur Roi, expliqua Arthur d’un air las, mais afin de
protéger votre vie des centaines d’hommes qui voudraient vous l’ôter.
— Alors
qu’allez-vous faire ? demanda Mordred, d’un ton maintenant désespéré.
— Comme
je vous l’ai dit, fit Arthur avec mépris. Je vais réfléchir à la question. »
Et il n’ajouterait pas un mot de plus.
*
Au moins y
voyait-on clair maintenant dans les desseins de Lancelot. Sansum avait comploté
la mort d’Arthur, Lancelot avait dépêché ses hommes pour s’assurer de la mort
de Mordred, puis il avait suivi avec son armée, convaincu d’avoir éliminé tous
les obstacles qui l’éloignaient du trône de Dumnonie et certain que les
chrétiens, chauffés à blanc par les inlassables missionnaires de Sansum,
allaient le débarrasser de tous les ennemis restants pendant que Cerdic tenait
en respect les hommes de Sagramor.
Mais Arthur
vivait, et Mordred aussi. Et tant que Mordred vivait, Arthur était tenu par son
serment, et ce serment nous obligeait à faire la guerre. Peu importait que
cette guerre pût livrer la vallée du Severn aux Saxons. Nous devions combattre
Lancelot. Notre serment nous y obligeait.
Meurig ne
voulait engager aucun lancier contre Lancelot. Il prétendit avoir besoin de
tous ses hommes pour garder ses frontières contre une possible attaque de
Cerdic ou d’Aelle, et rien ne put le faire revenir sur sa décision. Il
consentit à abandonner sa garnison à Glevum, laissant à sa garnison de Dumnonie
la liberté de rejoindre les troupes d’Arthur. Mais il ne donnerait rien de
plus.
« Un
petit salaud de froussard, grogna Culhwch.
— Un
jeune homme sensé, fit Arthur. Il entend préserver son royaume. »
Arthur s’adressa
à nous, ses commandants, dans une salle des bains romains de Glevum, avec un
sol carrelé et un plafond voûté sur lequel on apercevait des restes de fresques :
des nymphes nues que pourchassait un faune dans des tourbillons de feuilles et
de fleurs.
Cuneglas se
montra généreux.
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